
SAISON 12 / EPISODE 1
Depuis l’enfance, on nous répète que le travail paie, que chacun peut réussir à force d’efforts et de persévérance. C’est le grand récit de la méritocratie : chacun aurait sa chance, peu importe son point de départ.
Mais est-ce vraiment la réalité ? Héritage, réseau, milieu familial, accès à une bonne éducation… autant de facteurs qui pèsent lourd dans une trajectoire, bien plus que le seul mérite individuel. Alors, la méritocratie est-elle une valeur à défendre ou un mythe qui sert à masquer les inégalités sociales ?
Au cœur de ce débat, impossible de passer à côté du rôle de l’éducation et de l’université. Faut-il les considérer comme un droit universel, avec une gratuité pour tous, ou comme un investissement personnel dont chacun doit assumer le coût ? Qui doit payer : l’État, les contribuables, ou bien les étudiants à travers leurs impôts futurs ?
Et puis, dans un monde en pleine mutation numérique et professionnelle, une autre question se pose : quelle place pour la culture générale ? Est-elle encore utile pour réussir, ou n’est-elle qu’un vestige élitiste ? Doit-on la réinventer pour l’adapter à notre époque ou la préserver comme un repère indispensable pour comprendre le monde ?
Méritocratie : quand le rêve se heurte à la réalité, c’est notre prochaine enquête dans Faut qu’on en parle, vendredi 26 septembre à 21H sur vos radios, sur le live Facebook et sur www.fautquonenparle.fr.
Les invités de l’émission :
- Jean-Charles RINGARD – Inspecteur général de l’éducation du sport et de la recherche honoraire / Co président du comité de suivi de la réforme du lycée de 2019/ 2023 / coordinateur d’un récent ouvrage 2025 : le système éducatif français : principes, défis et gouvernance
- Willie CHARBONNIER – Conseiller national politiques éducatives et jeunesse à l’UNSA EDUCATION
- Yann FORESTIER – Professeur agrégé d’histoire, historien spécialiste des débats publics sur l’éducation et de la médiatisation des questions scolaires
- François DUBET – Sociologue et professeur émérite à l’Université de Bordeaux et à l’EHESS
Les chiffres sur l’émission “Méritocratie : quand le rêve se heurte à la réalité”
L’école française corrige-t-elle vraiment les inégalités sociales ?
En théorie, l’école républicaine a pour mission de donner les mêmes chances à tous. Mais dans les faits, les chiffres montrent une réalité différente.
Selon les évaluations internationales PISA 2022, en France, l’origine sociale explique 20 % des écarts de performance en mathématiques entre élèves, contre seulement 15 % en moyenne dans l’OCDE. Cela signifie que le poids du milieu familial est beaucoup plus fort chez nous que dans la majorité des pays comparables.
Concrètement, à la fin du collège, les élèves issus de milieux favorisés ont un niveau scolaire qui représente en moyenne quatre années d’avance sur ceux des milieux les plus défavorisés. Autrement dit, malgré le mérite et les efforts, l’égalité des chances à l’école reste un idéal plus qu’une réalité.
Tous les enfants ont-ils les mêmes chances d’accéder aux études supérieures et aux grandes écoles ?
Là encore, les données sont parlantes. D’après l’INSEE, seuls 36 % des enfants d’ouvriers parviennent à suivre un cursus long dans l’enseignement supérieur, c’est-à-dire au moins jusqu’à la licence. À titre de comparaison, ils sont 76 % parmi les enfants de cadres.
Et si l’on regarde du côté des grandes écoles, censées être le symbole de la méritocratie française, la sélectivité renforce encore plus ces écarts : près de 70 % des étudiants qui y accèdent sont issus de familles favorisées, alors qu’à peine un quart viennent de milieux modestes.
Autrement dit, l’ascenseur social fonctionne, mais pas pour tout le monde : l’accès aux filières d’excellence reste encore largement conditionné par l’origine sociale et non uniquement par le travail ou les résultats scolaires.
Tous les enfants ont-ils les mêmes chances d’accéder à l’université ?
En théorie oui, car l’université est ouverte à tous les bacheliers. Mais dans les faits, l’origine sociale pèse énormément.
D’après l’INSEE, seuls 36 % des enfants d’ouvriers parviennent à suivre un cursus supérieur long, c’est-à-dire au moins jusqu’à la licence. À l’inverse, ils sont 76 % parmi les enfants de cadres.
Autrement dit, avant même d’entrer à l’université, les chances ne sont pas égales. L’héritage social, culturel et économique joue un rôle déterminant dans la poursuite des études.
La réussite est-elle garantie une fois qu’on entre à l’université ?
Là encore, les chiffres montrent une réalité difficile.
Selon le Ministère de l’Enseignement supérieur, près de 60 % des étudiants échouent ou se réorientent dès la première année de licence.
Cela signifie qu’une majorité d’étudiants ne parviennent pas à franchir ce premier cap, souvent faute d’accompagnement, de moyens financiers ou simplement d’une orientation adaptée.
La sélection n’existe peut-être pas officiellement à l’entrée de l’université, mais elle se fait en réalité par l’échec en première année.
La culture générale est-elle encore utile dans un monde dominé par les compétences techniques et le numérique ?
Oui, car la culture générale dépasse les savoirs techniques. Elle permet de comprendre les grands enjeux de société, d’avoir du recul critique et de faire des liens entre différents domaines.
Par exemple, un ingénieur très compétent dans son domaine sera plus efficace s’il comprend aussi les dimensions économiques, sociales ou environnementales de son travail. De même, dans un monde saturé d’informations, la culture générale offre un filtre essentiel pour distinguer le vrai du faux.
En somme, elle n’est pas seulement un bagage intellectuel : c’est un outil pour s’orienter dans un monde complexe.
La culture générale reste-t-elle un outil d’égalité ou un privilège réservé à certains ?
C’est toute l’ambiguïté. En théorie, l’école a pour mission de donner à tous un socle commun de culture générale. Mais dans la pratique, elle profite surtout à ceux qui baignent déjà dans un environnement familial cultivé. Les concours aux grandes écoles, par exemple, valorisent fortement la culture générale – mais ceux qui y réussissent sont souvent ceux qui avaient déjà un accès privilégié aux livres, aux musées, aux voyages, aux discussions à la maison.
Cela pose la question : faut-il réinventer la culture générale pour la rendre plus accessible et plus connectée au monde d’aujourd’hui, ou au contraire défendre un héritage commun indispensable, même s’il reste socialement inégalitaire ?
Pour écouter les coulisses de l’émission et la suite avec nos invités, c’est ici !
Pour aller plus loin
Méritocratie : quand le rêve se heurte à la réalité
Depuis des décennies, la méritocratie s’impose comme un idéal : chacun, à force d’efforts et de persévérance, pourrait gravir l’échelle sociale et réussir, indépendamment de son origine. Mais si ce récit inspire et motive, il cache aussi une réalité plus complexe : l’égalité des chances n’est pas toujours garantie, et de nombreux obstacles viennent brouiller la promesse initiale.
Héritage, réseaux et capital social : le poids du milieu d’origine
Les études sociologiques sont formelles : l’ascenseur social est aujourd’hui en panne. Les enfants issus de milieux favorisés bénéficient d’un capital culturel et relationnel qui facilite leur parcours. Langage, codes sociaux, réseaux familiaux ou amicaux, autant de leviers invisibles qui pèsent lourd dans la balance. À l’inverse, pour ceux qui partent avec moins d’atouts, la méritocratie ressemble parfois davantage à une course où certains commencent plusieurs mètres en avance.
L’école et l’université : tremplins ou miroirs des inégalités ?
L’éducation est souvent présentée comme la clé pour équilibrer les chances. Mais son rôle est ambivalent. Si l’école peut être un tremplin, elle reproduit aussi des inégalités existantes : accès à des établissements réputés, capacité financière des familles à financer des cours de soutien ou des études supérieures, ségrégation géographique entre quartiers favorisés et défavorisés. L’université pose aussi une question cruciale : doit-elle être gratuite et financée collectivement, ou considérée comme un investissement personnel ? Derrière ce débat se dessine un choix de société : veut-on un modèle qui compense les écarts, ou un système qui renforce les logiques de marché ?
Une réussite à réinventer : entre compétences, numérique et culture générale
La transformation du monde du travail ajoute une autre dimension. Dans une économie marquée par la flexibilité, la précarité et la montée en puissance du numérique, la réussite ne se mesure plus seulement en diplômes. Les « soft skills », l’adaptabilité et la créativité deviennent essentielles. Mais alors, quelle place donner à la culture générale, longtemps considérée comme un marqueur d’élite ? Doit-on la préserver comme un socle commun pour comprendre le monde, ou la réinventer pour qu’elle corresponde aux enjeux contemporains ?
La méritocratie : idéal à sauver ou mythe à déconstruire ?
En définitive, la méritocratie divise. Pour certains, elle demeure un idéal mobilisateur, une promesse d’équité qui pousse chacun à donner le meilleur de soi. Pour d’autres, elle est un mythe utile, qui masque les inégalités structurelles et entretient l’illusion d’une justice sociale. Le vrai enjeu est peut-être ailleurs : dans la capacité à repenser la manière dont la société reconnaît et valorise le mérite, en tenant compte de la diversité des parcours et des obstacles rencontrés.

