Interdiction du Cuivre en Viticulture Biologique : Stratégies et Organisation de la Filière Face à une Transition Inéluctable.
Le site Vinofutur à tiré la sonnette d’alarme en Juillet 2025, aujourd’hui, c’est les agricultures. Nous allons tout vous expliquer, l’enjeu qui se cache derrière le cuivre.
Le Cuivre en Viticulture Biologique, un Pilier Historique sur la Sellette
La viticulture biologique française, forte de ses 150 000 hectares , se trouve à un carrefour critique.
Son développement, fondé sur un cahier des charges excluant les pesticides de synthèse, repose historiquement sur l’utilisation d’un intrant minéral : le cuivre.
Or, ce pilier historique est aujourd’hui sur la sellette, menacé par une réglementation de plus en plus restrictive qui pourrait aboutir à son interdiction.
Cette perspective, loin d’être une simple contrainte technique, représente un défi systémique qui interroge les fondements agronomiques, économiques et stratégiques de l’ensemble de la filière.
L’enjeu est de taille : comment organiser une transition vers une viticulture bio sans cuivre, ou avec des doses drastiquement réduites, tout en assurant la pérennité économique des exploitations et en maintenant la confiance des consommateurs? Ce rapport se propose d’analyser en profondeur les stratégies et l’organisation que la filière viticole biologique met en place pour répondre à cette transition inéluctable.
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Le Rôle Fongicide Fondamental du Cuivre
Le cuivre, principalement sous la forme de la bouillie bordelaise (sulfate de cuivre), est la pierre angulaire de la protection phytosanitaire en viticulture biologique.
Son importance découle de son statut de seul produit efficace et homologué dans la lutte contre le mildiou (Plasmopara viticola), l’une des maladies les plus dévastatrices pour la vigne.
Le mildiou, causé par un oomycète, peut anéantir une récolte en quelques jours si les conditions climatiques (chaleur et humidité) sont favorables. Le cuivre possède également des effets secondaires reconnus, bien que partiels, contre d’autres maladies comme le black-rot et la nécrose bactérienne.
Le mode d’action du cuivre est exclusivement préventif et de contact. Appliqué sur les organes verts de la vigne (feuilles, grappes), il forme une barrière protectrice.
Lors d’un épisode pluvieux ou d’une forte rosée, des ions cuivre () sont libérés et inhibent la germination des spores du champignon pathogène, empêchant ainsi l’infection de se produire. Cette caractéristique impose plusieurs contraintes majeures : le produit ne protège que les parties de la plante qui ont été directement atteintes par la pulvérisation et n’a aucune action curative sur des symptômes déjà installés.
Par conséquent, la protection doit être renouvelée après des pluies importantes (lessivage) ou lors des phases de pousse active de la vigne, qui exposent de nouveaux tissus non protégés.
Son caractère indispensable est unanimement reconnu par la filière.
Des documents techniques et des prises de position syndicales le qualifient de “non substituable” à court terme. L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) elle-même, dans une analyse prospective, a souligné que la plus-value en termes de santé publique et d’environnement d’une suppression totale du cuivre n’était “pas évidente” si elle devait conduire à un écroulement de la filière biologique et à un retour paradoxal de ces surfaces vers un mode de production utilisant des molécules de synthèse. La dépendance est donc totale, et la perspective de son retrait sans alternatives robustes et validées est perçue comme une menace existentielle.
Le Contexte Réglementaire Européen et National
La pression réglementaire sur le cuivre s’est intensifiée au cours de la dernière décennie, créant un environnement d’incertitude pour les viticulteurs. Le cadre est défini à deux niveaux, européen et national, avec des dynamiques parfois divergentes.
Au niveau européen, le règlement d’exécution (UE) 2018/1981 a renouvelé l’approbation du cuivre en tant que substance active phytopharmaceutique pour une durée de sept ans, soit jusqu’à fin 2025. Cette approbation a été assortie d’une condition restrictive majeure : la quantité de cuivre-métal appliquée ne doit pas dépasser 28 kg par hectare sur une période de 7 ans, ce qui correspond à une moyenne lissée de 4 kg/ha/an.
Cette disposition de “lissage pluriannuel” est d’une importance capitale pour les viticulteurs. Elle leur offre la flexibilité nécessaire pour moduler les doses annuelles en fonction de la pression de la maladie, qui varie considérablement d’un millésime à l’autre : appliquer moins de 4 kg les années sèches pour pouvoir dépasser ce seuil (tout en restant sous un maximum de 6 kg/ha/an) lors des printemps pluvieux où la menace du mildiou est extrême.
Cependant, ce cadre européen est complexifié par les décisions nationales et les évolutions réglementaires. La Commission européenne a par la suite supprimé la possibilité de lissage qui était spécifique au règlement de l’agriculture biologique, alignant de fait les conditions d’utilisation sur celles de l’agriculture conventionnelle. En France, l’ANSES joue un rôle central et proactif.
L’agence a engagé un processus de réexamen de toutes les Autorisations de Mise sur le Marché (AMM) des produits à base de cuivre, avec un calendrier de finalisation fixé à fin 2025. Anticipant cette échéance, l’ANSES a déjà pris des décisions restrictives : en 2025, elle a annoncé le non-renouvellement de l’autorisation pour 20 fongicides cupriques (principalement des poudres), invoquant cette fois non pas les risques environnementaux, mais des données jugées insuffisantes pour exclure un risque pour la santé des utilisateurs lors de leur manipulation.
Cette divergence entre le calendrier européen relativement stable jusqu’en 2025 et l’activisme réglementaire de l’agence nationale française crée une situation de grande précarité pour les viticulteurs. Ils doivent planifier leurs investissements et leurs stratégies agronomiques à long terme (la vigne étant une culture pérenne) tout en faisant face à un horizon réglementaire qui se rétrécit et devient imprévisible. L’incertitude ne porte plus seulement sur la dose annuelle autorisée, mais sur la disponibilité même des produits qu’ils ont l’habitude d’utiliser, ce qui complique considérablement toute stratégie de transition.
Les Enjeux de la Transition
La sortie progressive du cuivre est une transition complexe qui mobilise des enjeux environnementaux, économiques et scientifiques.
L’enjeu environnemental est le moteur de cette évolution réglementaire. La toxicité du cuivre pour les sols et les écosystèmes, qui sera détaillée plus loin dans ce rapport, est scientifiquement documentée et justifie la recherche d’alternatives plus respectueuses de la biodiversité.
L’enjeu économique est colossal. La survie et la compétitivité de la viticulture biologique française sont directement menacées. Il s’agit de développer et de déployer des stratégies de protection alternatives qui soient non seulement efficaces sur le plan agronomique, mais aussi économiquement viables pour des exploitations de tailles et de modèles économiques très variés. Le coût des nouvelles solutions, l’investissement nécessaire en matériel ou en restructuration de vignoble, et la gestion du risque de perte de récolte sont au cœur des préoccupations de la filière.
Enfin, l’enjeu scientifique et technique est de taille. La recherche agronomique a démontré qu’il n’existe pas de “produit miracle” unique capable de remplacer le cuivre avec la même efficacité et la même polyvalence. La solution réside dans la construction d’une approche systémique, une reconception en profondeur des itinéraires techniques qui combine une multitude de leviers : prophylaxie, biocontrôle, stimulateurs de défense des plantes, viticulture de précision et, surtout, le recours à de nouvelles variétés de vigne génétiquement résistantes aux maladies.
Cette complexité génère un paradoxe dans le discours public et au sein même de la filière. Le cuivre est simultanément présenté comme un “poison” dont il faut se défaire pour des raisons environnementales , et comme le “seul rempart” de l’agriculture biologique, sans lequel la filière s’effondrerait. Cette dichotomie place les vignerons bio dans une position difficile : ils sont contraints de défendre l’usage d’un produit dont ils connaissent les limites et les impacts, tout en étant les premiers acteurs de la recherche de solutions pour s’en affranchir. Gérer cette transition nécessite donc non seulement une innovation technique et agronomique, mais aussi une stratégie de communication claire pour expliquer cette complexité aux décideurs politiques et aux consommateurs.
Le Paradoxe du Cuivre : Protecteur Indispensable et Contaminant Environnemental
Le débat sur l’avenir du cuivre en viticulture biologique est encapsulé dans un paradoxe fondamental : une substance d’origine naturelle, autorisée par le cahier des charges bio, est également un métal lourd dont les impacts environnementaux à long terme sont avérés. Comprendre cette dualité est essentiel pour saisir les raisons de la pression réglementaire et l’urgence de la transition.
Analyse Détaillée de l’Écotoxicité
La justification scientifique des restrictions d’usage du cuivre repose sur son écotoxicité et sa persistance dans l’environnement. Contrairement aux pesticides de synthèse qui peuvent être dégradés, le cuivre en tant qu’élément métallique ne se dégrade pas et s’accumule dans les sols.
L’application répétée de produits cupriques est la source principale de cette contamination dans les sols agricoles. En viticulture, où la lutte contre le mildiou peut nécessiter de nombreuses applications annuelles depuis plus d’un siècle, cette accumulation est particulièrement marquée.
Les concentrations de cuivre dans les horizons de surface (les 10-20 premiers centimètres) des sols viticoles peuvent atteindre des valeurs de 200 à 500 mg/kg, bien au-delà des fonds géochimiques naturels qui se situent généralement entre 3 et 100 mg/kg. Une grande partie de ce cuivre (environ 99%) se lie fortement aux composants du sol, notamment la matière organique et les oxydes de fer, ce qui limite sa mobilité verticale et son transfert vers les nappes phréatiques, mais concentre la pollution dans la zone d’activité biologique la plus intense.
Cette accumulation n’est pas sans conséquences :
- Impact sur la vie du sol : Les effets délétères d’un excès de cuivre sur les communautés microbiennes (bactéries, champignons) sont bien établis. La toxicité est également prouvée pour certaines composantes de la faune du sol, comme les collemboles. Pour les vers de terre, bien que la dose létale soit élevée, une toxicité chronique est observée, affectant leur reproduction et leur physiologie. Il est donc admis que cette pollution a des effets à long terme sur la dynamique des populations d’organismes essentiels au bon fonctionnement des sols.
- Toxicité aquatique : Le cuivre est reconnu comme toxique pour les organismes aquatiques, ce qui justifie l’imposition de Zones Non Traitées (ZNT) le long des cours d’eau lors des applications.
- Phytotoxicité : Dans certaines conditions, notamment sur des sols acides où il est plus mobile, le cuivre peut devenir toxique pour la vigne elle-même. Des concentrations excessives peuvent entraîner des symptômes de chlorose (jaunissement du feuillage), une réduction de la croissance et, dans les cas les plus graves, un mauvais développement des jeunes plantations.
- Impact sur le biocontrôle : Le cuivre peut également être toxique pour des champignons bénéfiques utilisés comme agents de biocontrôle contre d’autres ravageurs, créant des antagonismes dans les stratégies de protection intégrée.
Il est crucial de noter que la décision réglementaire de restreindre le cuivre se fonde en grande partie sur un principe de précaution face à ce risque d’accumulation à long terme et à une contamination chronique et systémique des écosystèmes. Comme le souligne un rapport, l’écotoxicité est prouvée en laboratoire, mais il existe un “manque de données sur les impacts en ‘conditions de terrain’ réelles”, donnant l’impression d’avoir “un coupable, mais pas de victimes identifiées”. Cette nuance est importante : la menace est celle d’une dégradation lente et progressive de la santé des sols, un phénomène moins visible et immédiat qu’une pollution aiguë, ce qui peut rendre la nécessité des restrictions plus difficile à percevoir pour les agriculteurs au quotidien.
Le Calendrier Réglementaire et l’Impasse Technique
La reconnaissance de ces impacts environnementaux a conduit à un durcissement progressif de la réglementation, plaçant la filière viticole biologique face à un calendrier contraint et une potentielle impasse technique.
Le calendrier réglementaire est dicté par l’échéance de réévaluation de l’approbation européenne de la substance active, fixée à la fin de l’année 2025. En France, l’ANSES a aligné son propre calendrier de réexamen des AMM de tous les produits cupriques sur cette date. Bien qu’un éventuel sursis puisse être accordé en attendant des données complémentaires, notamment un avis scientifique italien attendu pour début 2028 , l’horizon à moyen terme est celui d’une restriction, voire d’un retrait.
Cette perspective crée une impasse technique car, comme l’a conclu une expertise scientifique collective de l’INRAE dès 2018, un remplacement total du cuivre à court terme n’est pas envisageable. L’obstacle principal, réaffirmé par l’ANSES, est la faible disponibilité d’alternatives offrant un niveau de protection comparable, en particulier lors des années à forte pression de mildiou. Sans cuivre, ou avec des quantités insuffisantes, les producteurs bio se retrouveraient démunis, avec un risque de pertes de récolte massives qui les pousseraient à abandonner la certification biologique.
Cette situation génère un effet ciseau réglementaire paradoxal. D’un côté, la viticulture biologique, la plus dépendante du cuivre, voit son usage de plus en plus contraint. De l’autre côté, la viticulture conventionnelle est incitée à réduire l’usage de ses fongicides de synthèse les plus à risque, notamment ceux classés CMR (Cancérogènes, Mutagènes ou toxiques pour la Reproduction). Dans ce contexte, le retrait de certaines substances actives de synthèse efficaces pourrait amener les viticulteurs conventionnels à se reporter sur le cuivre, considéré comme une solution de repli efficace et d’origine naturelle. On assisterait alors à une situation où l’usage du cuivre augmenterait en conventionnel tout en étant interdit en bio, brouillant les lignes entre les deux modes de production et rendant la justification d’une interdiction ciblée sur la filière biologique politiquement et techniquement difficile à soutenir.
Les Alternatives Biologiques et Naturelles : Le Biocontrôle et la Stimulation des Défenses de la Plante (SDP)
Face à la perspective d’une restriction sévère du cuivre, la recherche et l’expérimentation se sont intensifiées pour développer et valider des solutions alternatives basées sur des mécanismes naturels. Parmi celles-ci, les produits de biocontrôle, et en particulier la catégorie des Stimulateurs de Défense des Plantes (SDP), représentent une voie d’avenir, bien que leur mise en œuvre soit techniquement plus complexe que l’usage du cuivre.
3.1. Définition et Classification des Solutions de Biocontrôle
Le biocontrôle est défini comme un ensemble de méthodes de protection des végétaux qui reposent sur l’utilisation de mécanismes naturels et d’interactions qui régissent les relations entre les espèces dans la nature. La réglementation classe les produits de biocontrôle en quatre grandes familles :
- Les micro-organismes : Bactéries, champignons ou virus qui peuvent être antagonistes des pathogènes ou produire des substances qui les inhibent.
- Les macro-organismes : Insectes, acariens ou nématodes auxiliaires qui sont les prédateurs ou parasitoïdes des ravageurs des cultures.
- Les médiateurs chimiques : Phéromones et autres substances sémiochimiques qui modifient le comportement des ravageurs (ex: confusion sexuelle).
- Les substances naturelles : D’origine végétale, animale ou minérale, ayant des propriétés pesticides.
Le cadre réglementaire qui entoure ces produits est particulièrement complexe et constitue un frein à leur adoption. Un produit peut relever de plusieurs statuts : produit phytopharmaceutique avec une Autorisation de Mise sur le Marché (AMM), Substance de Base (SB) approuvée au niveau européen, Substance Naturelle à Usage Biostimulant (SNUB) ou encore Matière Fertilisante et Support de Culture (MFSC). Cette fragmentation est source de confusion : par exemple, une SNUB ne peut revendiquer qu’une action de stimulation contre un stress abiotique (comme la sécheresse) et non contre une maladie (stress biotique), même si un effet est constaté. De plus, tous les produits de biocontrôle ne sont pas nécessairement Utilisables en Agriculture Biologique (UAB), et inversement, tous les produits UAB (comme le cuivre) ne sont pas classés en biocontrôle. Cette complexité administrative rend difficile pour les viticulteurs l’élaboration de stratégies de protection claires et réglementairement sécurisées.
Le Mode d’Action des Stimulateurs de Défense des Plantes (SDP)
Une part importante des recherches sur les alternatives au cuivre se concentre sur les Stimulateurs de Défense des Plantes (SDP). Un SDP est défini comme “toute substance ou micro-organisme vivant non pathogène qui, appliqué sur une plante, est capable de promouvoir un état de résistance significativement plus élevé […] face à des stress biotiques”.
Leur mode d’action est fondamentalement différent de celui du cuivre. Il est indirect et préventif : le SDP ne tue pas directement le pathogène, mais il “mime” une attaque et déclenche les mécanismes de défense naturels de la vigne avant même l’arrivée de la maladie. La plante, ainsi “pré-alertée” ou “vaccinée”, est capable de réagir plus vite et plus fort lors d’une infection réelle. Cette stimulation peut se manifester par :
- Le renforcement des barrières physiques de la plante (épaississement des parois cellulaires).
- L’activation de voies métaboliques conduisant à la production de composés de défense (phytoalexines, protéines PR).
De nombreux produits sont étudiés pour leur effet SDP, comme Roméo®, un produit homologué à base de parois de levure de Saccharomyces cerevisiae , ou encore des substances comme le COS-OGA, la laminarine, ou des extraits de plantes (prêle, osier). La recherche s’oriente également vers des méthodes physiques, comme l’application de flashs d’UV-C, qui ont également un effet éliciteur sur les défenses de la vigne. Un des défis scientifiques majeurs est de pouvoir vérifier que la stimulation a bien eu lieu. Des projets comme CODEVI-SDP cherchent à identifier des marqueurs de cette activation, par exemple en mesurant l’émission de Composés Organiques Volatils (COV) spécifiques par la vigne après traitement.
État de la Recherche et Efficacité des Produits
Malgré l’intense activité de recherche, l’efficacité des solutions de biocontrôle et des SDP au vignoble reste partielle et souvent aléatoire. Les résultats dépendent fortement de la pression de la maladie, des conditions climatiques et du positionnement des applications.
- Contre le mildiou : Des essais menés dans le cadre de projets comme Alt’Fongi Biocontrôle ont montré que certaines substances, notamment les phosphites et l’huile essentielle d’orange douce, semblent permettre de réduire les doses de cuivre lorsqu’elles sont utilisées en association, tout en maintenant un niveau de protection acceptable.
- Contre l’oïdium et le black-rot : Pour l’oïdium, des produits comme le bicarbonate de potassium ou l’huile essentielle d’orange douce peuvent montrer une efficacité comparable au soufre dans certaines conditions. Pour le black-rot, le projet ZéroBlackRot vise à identifier des biosolutions actives, notamment des SDP, pour construire des itinéraires de protection sans produits de synthèse classés.
Le consensus scientifique et technique est qu’à l’heure actuelle, ces produits ne permettent pas une substitution totale du cuivre, surtout lors des années à forte pression de mildiou. Leur place se situe plutôt dans des stratégies de réduction, en association avec des doses diminuées de cuivre. Des essais ont par exemple montré que l’association de 100 g/ha de cuivre-métal avec des produits comme le chitosane ou des huiles essentielles pouvait donner des résultats intéressants en maintenant une efficacité correcte.
L’adoption de ces solutions représente un changement de paradigme complet pour le viticulteur. Il ne s’agit plus d’appliquer un “traitement-assurance” à l’efficacité prévisible comme le cuivre, mais de s’engager dans une gestion du risque beaucoup plus fine et complexe. L’efficacité des SDP dépend de la réactivité de la plante, du timing précis de l’application avant les contaminations, et d’une multitude de facteurs agronomiques et climatiques. Le viticulteur ne peut plus se contenter de “couvrir” sa vigne ; il doit devenir un véritable pilote de la physiologie de sa plante, anticiper les risques infectieux, et accepter une part d’incertitude plus grande. Cette transition requiert un niveau de technicité, de suivi et d’accompagnement bien supérieur à celui exigé par la protection conventionnelle ou même par la protection “tout cuivre”.
La Révolution Génétique : Les Cépages Résistants comme Solution Durable
Si le biocontrôle et l’optimisation des pratiques représentent des leviers importants de réduction, la solution la plus structurelle et la plus efficace pour une viticulture libérée du cuivre réside dans l’innovation variétale. Le développement et le déploiement de cépages naturellement résistants aux maladies fongiques constituent une véritable révolution, capable de transformer en profondeur les pratiques phytosanitaires.
Présentation des Programmes de Recherche et des Variétés
La création de cépages résistants n’est pas une idée nouvelle. Elle trouve ses racines au XIXe siècle, après l’introduction en Europe des maladies américaines de la vigne (mildiou, oïdium, phylloxéra), lorsque les premiers “hybrides producteurs directs” ont été créés par croisement entre la vigne européenne (Vitis vinifera) et des espèces de vignes américaines ou asiatiques naturellement résistantes. Longtemps délaissée au profit de la lutte chimique, cette voie de recherche a été réactivée avec force en France depuis les années 2000 par l’INRAE (aujourd’hui INRAE), notamment à travers le programme “ResDur” (Résistance Durable).
La méthode utilisée est celle de l’hybridation et des rétrocroisements successifs, assistée par des marqueurs moléculaires. Il ne s’agit en aucun cas d’OGM. Le principe consiste à croiser un cépage traditionnel (parent Vitis vinifera) avec une vigne porteuse de gènes de résistance. Les descendants sont ensuite “rétrocroisés” à plusieurs reprises avec le parent vinifera. À chaque génération, les sélectionneurs choisissent les individus qui ont conservé les gènes de résistance tout en se rapprochant au maximum des caractéristiques qualitatives (morphologie, arômes) du cépage d’origine. L’objectif du programme ResDur est d’empiler plusieurs gènes de résistance différents (résistance polygénique) pour garantir une plus grande durabilité face au risque de contournement par les pathogènes.
Après plus de 15 ans de recherche, ces programmes ont abouti à l’inscription au catalogue officiel français de plusieurs variétés innovantes. Les quatre premières, issues du programme ResDur1 et inscrites en 2018, sont les plus connues : Artaban (rouge), Vidoc (rouge), Floreal (blanc) et Voltis (blanc). Elles ont été suivies par d’autres, comme Coliris (rouge), Lilaro, Sirano, Selenor et Opalor, issues du programme ResDur2.
Potentiel de Réduction des Intrants
Le potentiel de ces cépages pour réduire l’usage des fongicides est exceptionnel et sans commune mesure avec les autres leviers. Les essais menés par l’INRAE et l’IFV (Institut Français de la Vigne et du Vin) sur plusieurs années et dans différents vignobles démontrent une réduction drastique du nombre de traitements. Les chiffres avancés sont de l’ordre de 90% à 96% de réduction de l’Indice de Fréquence de Traitement (IFT) fongicide par rapport à des cépages traditionnels sensibles.
Ces variétés possèdent une résistance très élevée, voire totale, au mildiou et à l’oïdium, les deux maladies qui justifient la quasi-totalité des traitements fongicides en viticulture. Par exemple, le Floreal et le Vidoc présentent une résistance totale à l’oïdium et une très bonne résistance au mildiou, ne subissant que de rares dégâts même en année de forte pression. En conditions normales, ces cépages peuvent être conduits avec seulement un ou deux traitements de précaution par an, voire aucun, là où un cépage sensible en requiert dix à quinze. L’adoption de ces variétés constitue donc la voie la plus directe et la plus efficace vers une viticulture à très bas intrants, et potentiellement une viticulture biologique sans cuivre.
Les Freins Réglementaires et Culturels (AOP/AOC)
Malgré leur potentiel agronomique et environnemental exceptionnel, le déploiement des cépages résistants se heurte à un obstacle majeur : le cadre réglementaire et culturel très strict des Appellations d’Origine Protégée (AOP, anciennement AOC).
La situation est très différente entre les vins sous Indication Géographique Protégée (IGP) et ceux sous AOP :
- Flexibilité des IGP : Les cahiers des charges des IGP sont généralement plus souples et ouverts à l’innovation variétale. De nombreuses IGP, et non des moindres (Pays d’Oc, Val de Loire, Var, Vaucluse, etc.), ont rapidement modifié leurs décrets pour autoriser la plantation et la vinification des nouvelles variétés résistantes comme Artaban, Floreal, Vidoc et Voltis. Pour les vignerons de ces zones, la voie de la transition est ouverte.
- Rigidité des AOP : Le concept d’AOP repose sur une “adéquation au terroir”, une alchimie historique entre un lieu, un climat, des savoir-faire et une liste très restreinte de cépages traditionnels considérés comme emblématiques de l’appellation. L’introduction d’une nouvelle variété, même si elle est issue de rétrocroisements avec un parent local et qu’elle est qualitative, est perçue comme une rupture de ce lien historique et une potentielle “standardisation” du goût. Le processus d’intégration est donc extrêmement lent et fait face à de fortes résistances culturelles au sein des syndicats viticoles. À ce jour, seule l’AOP Champagne a franchi le pas en autorisant le Voltis à titre expérimental dans son cahier des charges, à hauteur de 5% de l’encépagement. Pour tous les autres grands vignobles d’AOP (Bordeaux, Bourgogne, Rhône, etc.), la porte reste fermée.
Cette situation crée un véritable blocage systémique. La réglementation des AOP, initialement conçue pour protéger le patrimoine et garantir l’authenticité, devient un frein majeur à l’adaptation agroécologique du vignoble face aux défis du changement climatique et de la réduction des pesticides. Elle empêche l’adoption de l’innovation la plus performante pour sortir de la dépendance au cuivre, contraignant les vignerons en AOP à se reposer sur des stratégies alternatives moins efficaces et plus risquées.
Cette dichotomie réglementaire risque de créer une viticulture “à deux vitesses”. D’un côté, les vignobles en IGP pourront rapidement transitionner vers des systèmes de production très économes en intrants, sécurisant leurs rendements et leurs coûts de production tout en bénéficiant d’un argument marketing fort (“cultivé sans pesticides”). De l’autre, les prestigieux vignobles d’AOP, particulièrement dans les régions à forte pression de maladies, resteront dépendants de stratégies complexes et coûteuses, et pourraient paradoxalement être perçus comme moins vertueux sur le plan environnemental. Cette tension entre la valeur patrimoniale de l’AOP et la durabilité réelle des pratiques de production est l’un des enjeux stratégiques majeurs pour l’avenir de la viticulture française.
Panorama des Principaux Cépages Résistants Autorisés en France
Pour offrir une vision synthétique et comparative des principales options disponibles, le tableau suivant récapitule les caractéristiques des variétés résistantes les plus pertinentes pour la filière.
Nom du Cépage | Couleur | Parentage (Hybride de…) | Résistance au Mildiou | Résistance à l’Oïdium | Autres Sensibilités Notables | Profil Aromatique du Vin | Statut Réglementaire Principal |
Floreal | Blanc | Villaris x Descendant de Muscadinia rotundifolia | Très bonne (rares dégâts) | Totale | Black-rot (résistance partielle) | Frais, expressif, notes de fruits exotiques et de buis | Autorisé dans de nombreuses IGP |
Vidoc | Rouge | Mtp 3082-1-42 x Regent | Très bonne | Totale | Black-rot | Puissant, coloré, équilibré, arômes de fruits et d’épices | Autorisé dans de nombreuses IGP |
Artaban | Rouge | Mtp 3082-1-42 x Regent | Bonne (même sous forte pression) | Bonne | Black-rot, flavescence dorée | Léger, coloré, notes fruitées, consommation rapide | Autorisé dans de nombreuses IGP |
Voltis | Blanc | Villaris x Mtp 3159-2-12 | Très bonne | Totale | Black-rot, millerandage | Souple, ample, bonne acidité. Idéal en assemblage | Autorisé en IGP ; AOP Champagne |
Coliris | Rouge | Mtp 3179-90-7 x Bronner | Très élevée | Excellente | Black-rot (résistance partielle), botrytis (très bonne) | Puissant, fruité, très coloré, bon équilibre alcool/acidité | Autorisé en IGP |
Ce tableau met en évidence la diversité des profils disponibles, permettant aux viticulteurs en IGP de choisir des variétés non seulement pour leur performance agronomique mais aussi en fonction du style de vin recherché. Il souligne également le verrouillage quasi-total pour les AOP, à l’exception notable du Voltis en Champagne.
L’Optimisation des Pratiques : Vers une Viticulture de Précision pour Réduire les Doses
En parallèle des solutions de rupture que sont le biocontrôle et les cépages résistants, un troisième levier, immédiatement mobilisable, consiste à optimiser l’ensemble des pratiques culturales pour utiliser le cuivre de manière plus efficiente. L’objectif n’est plus de traiter systématiquement, mais d’appliquer la juste dose, au bon endroit et au bon moment. Cette approche, qui relève de la viticulture de précision, combine des leviers agronomiques, technologiques et numériques.
5.1. Les Leviers Agronomiques Prophylactiques
La première étape pour réduire les intrants est de créer un environnement moins favorable au développement des maladies. Ces mesures prophylactiques, souvent basées sur le bon sens agronomique, sont un prérequis indispensable à toute stratégie de réduction.
La gestion du microclimat au sein du feuillage est primordiale. Des pratiques comme l’épamprage (suppression des pampres à la base du cep), l’ébourgeonnage (suppression des bourgeons superflus), les relevages et les rognages permettent de limiter la densité de la végétation. Un feuillage mieux aéré sèche plus rapidement après une pluie, ce qui réduit la durée d’humectation nécessaire à la germination des spores de mildiou. De plus, une végétation moins dense permet une meilleure pénétration des produits de traitement, assurant une couverture plus efficace des feuilles et des grappes.
La conception même de la parcelle joue un rôle. Lors de la plantation, le drainage des zones humides ou des “mouillères” permet d’éviter la stagnation d’eau, qui favorise les contaminations primaires de mildiou. La maîtrise de la vigueur de la vigne, par le choix du porte-greffe et une fertilisation raisonnée, est également un facteur clé, une vigne trop vigoureuse produisant un feuillage dense et propice aux maladies.
La Pulvérisation de Précision
L’efficacité d’un traitement de contact comme le cuivre dépend entièrement de la qualité de son application. La viticulture de précision offre des outils technologiques pour s’assurer que chaque goutte de bouillie atteint sa cible, minimisant ainsi les pertes et les doses nécessaires.
Le réglage du pulvérisateur est le point de départ fondamental. Un matériel mal réglé (pression, vitesse d’avancement, orientation des buses) peut entraîner une couverture hétérogène, avec des zones sur-traitées et d’autres sous-protégées, ou des pertes importantes par dérive. Ce réglage doit être effectué méticuleusement en début de campagne et vérifié régulièrement. Des outils en ligne comme “Mon réglage pulvé” ont été développés pour aider les viticulteurs dans cette tâche technique.
L’étape suivante est la pulvérisation modulée. Les technologies les plus avancées permettent d’adapter en temps réel la dose pulvérisée à la biomasse végétale réellement présente. Des pulvérisateurs équipés de capteurs (comme des LiDAR 2D ou des capteurs à ultrasons) scannent le volume du feuillage et commandent l’ouverture et le débit des buses pour ne traiter que là où se trouve la végétation, et avec la juste quantité de produit. Le projet de recherche TechnoDoseViti a permis de développer des modèles prédictifs pour optimiser ces applications, montrant le potentiel de réduction significatif lié à ces technologies. On passe ainsi d’une logique de dose “par hectare” à une dose “par surface de feuille à protéger”.
Les Outils d’Aide à la Décision (OAD)
Le levier le plus puissant pour optimiser l’usage du cuivre est de ne traiter que lorsque c’est absolument nécessaire. Les Outils d’Aide à la Décision (OAD) sont des logiciels qui aident les viticulteurs à prendre cette décision en modélisant le risque de maladie.
Ces outils, tels que DeciTrait® ou OADEX®, s’appuient sur des modèles épidémiologiques complexes (comme le modèle Potentiel Système®) qui simulent le cycle de développement des pathogènes (mildiou, oïdium, black-rot) en fonction des conditions météorologiques. Ils intègrent des données météo ultra-locales, soit issues de stations connectées installées directement dans les parcelles (ex: Sencrop), soit provenant de maillages très fins (1 km²) de services comme Météo-France.
En croisant les données météo (température, humidité, pluviométrie) avec l’état de maturité du pathogène et le stade de sensibilité de la vigne, l’OAD calcule un niveau de risque d’infection. Il peut ainsi alerter le viticulteur qu’une “pluie contaminatrice” est imminente et qu’un traitement préventif est justifié. Cela permet de s’affranchir des stratégies de traitement systématiques “à cadence fixe” (par exemple, tous les 10 jours) et de ne déclencher une application que lorsque le risque est avéré. Certains OAD vont plus loin en intégrant des modules de calcul de dose, comme Optidose® dans DeciTrait®, qui proposent une quantité de cuivre-métal à appliquer en fonction du niveau de risque calculé et du volume de la haie foliaire, permettant une double optimisation du timing et de la dose.
Quantification des Gains
La combinaison de ces leviers de précision permet des réductions substantielles de la quantité de cuivre utilisée, sans compromettre l’efficacité de la protection.
Des essais menés par les Chambres d’Agriculture ont montré que des doses de 300 g/ha de cuivre-métal par application pouvaient être aussi efficaces que des doses de 500 g/ha, à condition que le traitement soit parfaitement positionné avant la pluie contaminatrice. Il est désormais admis qu’il est techniquement inutile, voire contre-productif, d’appliquer des doses supérieures à 500 g/ha par traitement.
Le pilotage par OAD permet de réduire significativement le nombre total de traitements sur une campagne. Les résultats varient selon la pression climatique de l’année. Des expérimentations ont montré qu’en année de faible à moyenne pression, une protection efficace pouvait être assurée avec seulement 2 kg/ha de cuivre sur la saison, alors que des années de forte pression peuvent nécessiter jusqu’à 6 kg/ha. Le réseau des fermes DEPHY, engagé dans la réduction des pesticides, a démontré qu’en combinant différents leviers, il était possible de réduire l’Indice de Fréquence de Traitement (IFT) de 33% en moyenne, sans observer de perte de rendement.
Ces résultats confirment une conclusion essentielle : pour optimiser l’usage du cuivre, le facteur le plus déterminant n’est pas tant la formulation du produit (sulfate, hydroxyde, etc.) ou la dose absolue, mais bien le timing de l’application et la qualité de la pulvérisation. L’investissement le plus rentable pour un viticulteur n’est donc pas nécessairement dans l’achat d’un produit cuprique plus cher, mais dans les outils (OAD, stations météo) et les compétences lui permettant d’intervenir au moment optimal, et dans un matériel de pulvérisation performant et bien réglé. C’est une transition d’une logique de la “chimie” vers une logique de la “technologie et du savoir-faire”.
Stratégie et Organisation de la Filière : Construire la Viticulture Bio de Demain
La transition vers une viticulture à bas intrant cuprique n’est pas seulement une somme de défis techniques individuels ; elle est aussi et surtout un enjeu collectif qui nécessite une organisation et une stratégie concertées de l’ensemble de la filière. Face à cette menace, la viticulture biologique française a démontré une capacité de mobilisation mature et proactive, structurant ses efforts autour de la recherche, du plaidoyer politique et de la construction d’une vision systémique pour l’avenir.
Le Rôle Moteur des Instituts de Recherche
Au cœur de la stratégie de la filière se trouvent les instituts de recherche et de développement agronomique, qui jouent un rôle de premier plan dans la coordination et l’accélération de l’innovation. Des organismes comme l’INRAE, l’ITAB (Institut Technique de l’Agriculture Biologique) et l’IFV (Institut Français de la Vigne et du Vin) sont les chevilles ouvrières de la recherche d’alternatives.
Leur action se décline à plusieurs niveaux :
- Pilotage d’expertises stratégiques : L’INRAE a piloté en 2018 une expertise scientifique collective de grande ampleur, “Peut-on se passer du cuivre en agriculture biologique?”, qui a fait un état des lieux exhaustif des connaissances et a servi de socle à la feuille de route nationale pour la réduction du cuivre.
- Conduite de programmes de recherche ambitieux : Ces instituts mènent des programmes pluriannuels comme ResDur pour la création de cépages résistants ou participent à des projets collaboratifs comme BasIC (Bas Intrant Cuivre), qui associe chercheurs, techniciens et viticulteurs pour tester des stratégies de réduction en conditions réelles.
- Capitalisation et diffusion des connaissances : Un effort majeur a été consenti pour centraliser les savoirs. La Cellule RIT (Réseaux d’Innovation et de Transfert Agricole) Cuivre a ainsi réalisé une cartographie unique recensant et analysant plus de 400 essais sur les alternatives au cuivre menés en France au cours des 20 dernières années. Cette base de données constitue un outil précieux pour éviter la redondance des recherches et orienter les futurs travaux vers les pistes les plus prometteuses.
Les Actions des Organisations Professionnelles
Face à l’incertitude réglementaire et à l’ampleur des défis, les organisations professionnelles, et notamment la FNAB (Fédération Nationale de l’Agriculture Biologique) et l’interprofession France Vin Bio, se sont mobilisées pour défendre les intérêts de la filière et réclamer un accompagnement à la hauteur des enjeux.
Leur action se concentre sur le plaidoyer politique auprès des pouvoirs publics. Elles ont mené des actions de lobbying intenses auprès du Ministère de l’Agriculture pour alerter sur les risques d’une interdiction sèche et pour défendre des modalités réglementaires adaptées, comme le maintien du lissage pluriannuel des doses de cuivre. Elles ont déploré le manque de prise de position claire du ministère, qui délègue la décision à l’ANSES, une posture vécue comme un “abandon” par la profession.
Au-delà de la gestion de la crise du cuivre, la FNAB a élargi sa demande à la mise en place d’une véritable “stratégie nationale pour la viticulture bio”. La fédération argue que les dérèglements climatiques, qui exacerbent la pression des maladies comme le mildiou (comme lors du millésime 2024 catastrophique dans certaines régions), rendent la viticulture biologique de plus en plus risquée. Elle demande donc un plan global qui intègre des outils de gestion de crise (adaptation des assurances multirisques climatiques et du régime des calamités agricoles pour mieux prendre en compte le mildiou), des mécanismes de régulation de marché pour lisser les effets des années difficiles, et un soutien public renforcé à l’adaptation technique et à l’investissement. Cette démarche montre que la filière ne se contente pas de réagir à la question du cuivre, mais qu’elle cherche à construire un cadre politique et économique plus résilient pour l’avenir.
Vers une Approche Systémique et Intégrée
La convergence des travaux de recherche et des réflexions stratégiques de la filière aboutit à un consensus clair : la sortie du cuivre ne se fera pas par une simple substitution “produit par produit”. Elle exige une reconception profonde des systèmes de production viticole.
L’itinéraire technique de la viticulture biologique de demain sera nécessairement une combinaison de multiples leviers, orchestrés de manière intelligente en fonction du terroir, du climat et des objectifs de production. Ce système intégré reposera sur trois piliers :
- La génétique : L’utilisation de cépages partiellement ou totalement résistants comme base de la protection.
- La technologie : Le recours à la viticulture de précision (OAD, pulvérisation modulée) pour piloter les interventions et appliquer des doses minimales de produits (cuivre résiduel ou alternatives) uniquement lorsque c’est indispensable.
- Le biocontrôle : L’emploi de stimulateurs de défense des plantes et d’autres biosolutions en complément, pour renforcer la résistance de la plante ou gérer des risques secondaires.
Cette transition systémique représente un mur d’investissement considérable pour les exploitations : coût de la restructuration du vignoble pour planter de nouveaux cépages, acquisition de technologies de précision, coût plus élevé des produits de biocontrôle, etc.. La crise du cuivre agit ainsi comme un puissant catalyseur qui force la filière bio à accélérer son innovation et à définir plus précisément son identité. Elle pousse à des débats de fond sur des sujets autrefois sensibles, comme le refus par la filière française des phosphonates (autorisés en Allemagne) ou la remise en question de la définition du terroir face à l’arrivée des cépages résistants. Loin d’être une simple contrainte technique, la crise du cuivre est un moment de vérité qui oblige la viticulture biologique à se réinventer, à solidifier ses principes et à négocier avec les pouvoirs publics les moyens de sa propre transformation.
Synthèse des Leviers et Recommandations pour une Transition Réussie
L’échéance réglementaire de 2025 concernant l’autorisation du cuivre place la viticulture biologique française devant un défi sans précédent, mais aussi une opportunité unique de réinventer ses pratiques pour construire un modèle plus résilient et durable. L’analyse des différentes stratégies montre qu’il n’existe pas de solution unique, mais un éventail de leviers complémentaires dont la combinaison intelligente dessinera l’avenir de la filière. La réussite de cette transition dépendra de la capacité des viticulteurs à s’approprier ces nouvelles approches, et de la volonté des pouvoirs publics à accompagner ce changement systémique.
Récapitulatif des Stratégies par Horizon Temporel
La transition vers une viticulture à très bas niveau de cuivre peut être séquencée en trois phases stratégiques, combinant les leviers en fonction de leur maturité et de leur facilité de déploiement.
- Court Terme (1-3 ans) : L’Optimisation Maximale de l’Existant. L’urgence est de réduire les doses de cuivre au strict minimum, en respectant la réglementation (4 kg/ha/an en moyenne). La priorité absolue est le déploiement massif des outils de la viticulture de précision : adoption des Outils d’Aide à la Décision (OAD) pour ne traiter qu’à bon escient, investissement dans des stations météo connectées, et surtout, réglage et optimisation systématiques des pulvérisateurs. Parallèlement, il est impératif de renforcer les mesures prophylactiques (gestion du feuillage). C’est également la phase d’expérimentation à large échelle des produits de biocontrôle et des SDP, non pas en substitution totale, mais en association avec des doses réduites de cuivre pour en évaluer l’efficacité en conditions locales.
- Moyen Terme (3-10 ans) : L’Amorce de la Rupture Structurelle. Cette phase sera celle du début de la transformation physique du vignoble. Pour les exploitations en IGP, la restructuration des parcelles avec des cépages résistants doit être planifiée et engagée, en profitant des aides à la plantation. Pour les AOP, l’enjeu est de lever les verrous réglementaires en encourageant et en multipliant les dispositifs d’expérimentation de ces nouvelles variétés au sein des appellations. En parallèle, les connaissances sur le biocontrôle se consolideront, permettant une utilisation plus fiable et des stratégies de substitution partielle plus robustes.
- Long Terme (10+ ans) : La Généralisation du Nouveau Modèle. À cet horizon, l’objectif est la généralisation d’une viticulture biologique quasi exempte de cuivre. Les cépages résistants, dont les profils auront été affinés et adaptés à chaque grand terroir viticole, constitueront la base de la protection du vignoble, y compris dans une part significative des AOP. Le cuivre ne subsistera plus qu’à l’état de “produit de secours” utilisé de manière exceptionnelle. Les produits de biocontrôle et les SDP deviendront des outils de complément, utilisés pour gérer l’apparition de résistances ou des maladies secondaires non couvertes par la génétique.
Recommandations pour les Viticulteurs
La transition commence au niveau de chaque exploitation. Pour les viticulteurs biologiques, une démarche proactive est indispensable :
- Auditer ses pratiques et mesurer sa dépendance : La première étape consiste à réaliser un diagnostic précis : quelle est la consommation moyenne de cuivre-métal sur les cinq dernières années? Le pulvérisateur est-il performant et correctement réglé? Les pratiques prophylactiques sont-elles optimales? Cet audit permet d’identifier les premiers gisements de réduction.
- Investir dans la connaissance et la technologie : La viticulture de précision n’est plus une option. Il est crucial de se former à l’utilisation des OAD, de s’équiper de capteurs météo, et d’intégrer ces outils dans la prise de décision quotidienne. L’investissement dans un pulvérisateur moderne et performant doit être planifié.
- Anticiper la restructuration du vignoble : La plantation est une décision qui engage l’exploitation pour 30 à 40 ans. Pour les vignerons en IGP, il est stratégique d’intégrer dès maintenant des parcelles de cépages résistants lors des renouvellements. Pour ceux en AOP, l’implication dans les débats au sein des syndicats viticoles est essentielle pour faire évoluer les cahiers des charges et préparer l’avenir.
Qu’est-ce que le pouvoir public peut faire face à cette interdiction pour sauver nos agriculteurs vignerons
La réussite de cette transition ne peut reposer uniquement sur les épaules des viticulteurs. Un accompagnement fort et cohérent de la part des pouvoirs publics et des instances de la filière est une condition sine qua non.
- Mettre en place un plan national d’accompagnement financier : La transition a un coût. Des aides publiques ciblées et massives sont nécessaires pour soutenir l’investissement des viticulteurs dans les technologies de précision (OAD, pulvérisateurs) et, surtout, pour accompagner financièrement la restructuration du vignoble avec des cépages résistants, dont le coût de plantation est élevé.
- Adapter et clarifier les cadres réglementaires : Il est urgent d’accélérer les procédures d’expérimentation et d’intégration des cépages résistants dans les cahiers des charges des AOP, en définissant des cadres clairs et incitatifs. Parallèlement, une simplification et une clarification du statut réglementaire des différentes solutions de biocontrôle (SDP, SNUB, etc.) sont indispensables pour sécuriser leur utilisation par les agriculteurs.
- Réformer les outils de gestion de crise : Le risque de perte de récolte va s’accroître durant la phase de transition. Il est impératif d’adapter les systèmes d’assurance multirisque climatique et le régime des calamités agricoles pour mieux couvrir les dégâts causés par le mildiou en viticulture biologique, avec des barèmes d’indemnisation spécifiques qui tiennent compte de l’absence d’outils curatifs.
En définitive, la fin annoncée du cuivre comme pilier de la viticulture biologique est moins une fin en soi qu’un puissant accélérateur d’innovation. Elle contraint la filière à parachever sa transition agroécologique en mobilisant les meilleures connaissances agronomiques, les avancées de la génétique et les opportunités du numérique. Le chemin est exigeant, mais il dessine les contours d’une viticulture biologique plus résiliente, plus technique et encore plus en phase avec les attentes environnementales de la société.