La menace de Trump d’expulser l’Espagne et l’avenir de l’OTAN. Quand on disait qu’il y a de quelques choses d’anormal chez Trump. A force de souffler le chaud et le froid on va finir par se bruler.

 

 

L’ultimatum du Bureau Ovale

 

La déclaration faite le 9 octobre 2025 par le président américain Donald Trump, menaçant « d’expulser » l’Espagne de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN), ne doit pas être considérée comme un incident isolé. Elle représente l’aboutissement logique et périlleux d’une décennie de campagne politique menée contre les principes fondateurs de l’OTAN, une alliance qui a constitué la pierre angulaire de la sécurité transatlantique pendant plus de soixante-quinze ans. L’article de presse, bien que fictif, sert de catalyseur à une analyse stratégique approfondie des tensions qui couvent au sein de l’Alliance.  

Ce rapport avance la thèse centrale que la menace d’expulsion, bien que juridiquement infondée, engendre une crise politique profonde.

Elle met à l’épreuve le cadre juridique de l’Alliance, son unité politique et la crédibilité même de la garantie de sécurité américaine incarnée par l’article 5. L’analyse fera la distinction entre la menace énoncée (l’expulsion de l’Espagne) et la menace implicite et bien plus tangible (un retrait unilatéral des États-Unis). En situant cet événement dans le contexte immédiat de la déclaration du 9 octobre , ce document vise à disséquer une crise qui, par sa nature même, force les alliés à confronter les vulnérabilités structurelles et politiques de leur pacte de défense collective.  

L’architecture de l’obligation : Du plancher de 2 % au sommet de 5 %

 

Le débat sur le partage du fardeau au sein de l’OTAN est une caractéristique quasi permanente de l’histoire de l’Alliance. Cependant, la dernière décennie a vu ce débat se transformer, passant d’une discussion technique entre experts en défense à un enjeu politique de premier plan, capable de menacer la cohésion même de l’organisation.

 

L’engagement du sommet du Pays de Galles en 2014

 

La genèse du débat contemporain sur le partage des charges remonte au sommet de l’OTAN au Pays de Galles en 2014. En réponse directe à l’annexion de la Crimée par la Russie et à l’instabilité croissante au Moyen-Orient, les dirigeants alliés se sont formellement engagés à « viser à se rapprocher » d’un objectif de dépenses de défense équivalant à au moins 2 % de leur produit intérieur brut (PIB) d’ici 2024. Cet engagement visait à inverser des années de déclin des budgets de défense européens après la fin de la Guerre froide et à démontrer une crédibilité et une détermination renouvelées face à un environnement de sécurité dégradé. À l’époque, cet objectif semblait ambitieux, car seuls trois des membres de l’Alliance l’atteignaient.   

La présidence Trump et la politisation des dépenses

 

L’élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis en 2016 a radicalement changé la nature de ce débat. Ce qui était une ligne directrice et une aspiration politique est devenu, sous sa présidence, un test de loyauté transactionnel. Le président Trump a maintes fois qualifié les alliés ne respectant pas l’objectif de 2 % de « défaillants » qui ne « paient pas leurs factures », accusant l’Europe de profiter de la protection américaine. Cette rhétorique, répétée lors des sommets et dans des déclarations publiques, a profondément ébranlé la confiance transatlantique, présentant l’Alliance non plus comme un pacte de sécurité mutuelle, mais comme un arrangement de protection où les États-Unis se sentaient injustement lésés financièrement.   

 

L’onde de choc post-2022

 

L’invasion à grande échelle de l’Ukraine par la Russie en février 2022 a provoqué un changement tectonique dans la posture de sécurité européenne. Confrontés à la réalité d’une guerre de haute intensité sur leur continent, les alliés européens et le Canada ont considérablement augmenté leurs dépenses de défense. En 2024, une augmentation sans précédent de 18 % des dépenses a été enregistrée, portant le nombre d’alliés atteignant ou dépassant l’objectif de 2 % à un niveau record de vingt-trois, contre seulement six en 2021. En 2025, les données de l’OTAN indiquent que pour la première fois, tous les membres de l’Alliance (à l’exception de l’Islande, qui n’a pas d’armée) devraient atteindre ce seuil. Ce redressement spectaculaire constitue une toile de fond essentielle, démontrant que la pression renouvelée de l’administration Trump intervient malgré des efforts européens sans précédent.  

Le sommet fictif de La Haye en juin 2025

 

C’est dans ce contexte de réarmement que s’inscrit le sommet fictif de La Haye en juin 2025. Poussés par l’administration Trump, les alliés se seraient engagés à un nouvel objectif beaucoup plus ambitieux : consacrer 5 % de leur PIB à la sécurité. Cet engagement se décomposerait en 3,5 % pour les dépenses de défense fondamentales et 1,5 % supplémentaire pour des aspects plus larges de la sécurité, tels que la protection des infrastructures critiques et la cyberdéfense. C’est ce nouveau seuil, difficilement atteignable pour de nombreux pays, qui a créé les conditions de la crise avec l’Espagne.  

Tableau 1 : Dépenses de défense de l’OTAN – Un paysage en mutation

Pays % du PIB (2014) % du PIB (2024) % du PIB (Projeté 2025) Dépenses absolues (2024, en milliards de $)
États-Unis 3.38 3.4 3.71 997.0
Royaume-Uni 2.14 2.3 >2.3 81.8
Allemagne 1.19 2.12 >2.1 88.5
France 1.82 2.1 2.06 64.7
Pologne 1.84 4.12 4.26 38.0
Italie 1.14 1.6 1.49 38.0
Canada 1.3 <2.0 29.3
Espagne 0.92 1.4 1.28 24.6
Moyenne Alliés Européens & Canada 1.43 2.02 >2.0

 

Le conflit actuel est entièrement fondé sur une mesure – le pourcentage du PIB – qui est largement reconnue par les experts de la défense comme un indicateur brut et souvent trompeur de la contribution réelle d’un allié à l’Alliance. L’argument du président Trump est simple et politiquement puissant : les pays atteignent un objectif chiffré ou non, ce qui cadre le problème comme une simple question d’équité financière. Cependant, les analyses d’experts critiquent explicitement cette mesure, soulignant qu’elle évalue les entrées (combien est dépensé) plutôt que les sorties (quelle capacité militaire est générée). L’ensemble du contre-argument de l’Espagne repose sur le fait que ses dépenses, bien que plus faibles, sont suffisantes pour atteindre ses objectifs de capacités spécifiques assignés par l’OTAN. Par conséquent, la crise n’est pas seulement une question d’argent. Il s’agit d’un affrontement fondamental entre deux philosophies du partage du fardeau : une mesure financière simpliste et politiquement motivée contre une évaluation complexe et militairement pertinente basée sur les capacités. L’accent mis par Trump sur la première lui permet de créer une crise politique, tandis que l’accent mis par l’Espagne sur la seconde représente la perspective de planification de la défense plus nuancée et professionnelle au sein de l’Alliance. Ce schisme est une vulnérabilité fondamentale de l’OTAN que le président américain exploite. 

L’impasse ibérique : Le défi calculé de l’Espagne

 

La position de l’Espagne dans ce débat est emblématique des tensions plus larges qui traversent l’Alliance. Qualifiée de « retardataire » par le président Trump, l’Espagne a en réalité adopté une posture de défi calculé, fondée sur une vision de ses propres intérêts stratégiques et une critique de la logique sous-jacente aux nouveaux objectifs de dépenses.

 

Portrait d’un « retardataire »

 

Historiquement, l’Espagne a été l’un des pays de l’Alliance consacrant la plus faible part de son PIB à la défense. En 2024, ce chiffre était estimé à 1,28 % par l’OTAN, le plus bas de l’Alliance. Cependant, cette image est incomplète. En termes absolus, les dépenses de défense de l’Espagne se classent au 10e rang parmi les alliés, ce qui représente une contribution significative en termes de matériel et de personnel. Cette dualité entre une faible part relative et une contribution absolue non négligeable est au cœur de l’incompréhension et permet à des critiques simplistes de prendre racine.

 

« Déraisonnable et contre-productif »

 

Face à la proposition d’un objectif de 5 %, le gouvernement espagnol, dirigé par le Premier ministre Pedro Sánchez, a publiquement exprimé son opposition avant même le sommet de La Haye. Qualifiant l’objectif de « déraisonnable », Madrid a présenté sa position non pas comme un manquement à ses obligations, mais comme une position de principe contre un objectif jugé excessif et stratégiquement discutable. Cette opposition publique a distingué l’Espagne de nombreux autres alliés, la plaçant directement dans la ligne de mire de Washington. 

 

L’art de la négociation : la dérogation espagnole

 

Malgré cette opposition, l’Espagne a réussi un coup diplomatique lors du sommet de La Haye en négociant une exemption, ou « dérogation », à l’engagement de 5 %. L’accord, confirmé par un échange de lettres avec le Secrétaire général de l’OTAN, a permis d’introduire une flexibilité dans la déclaration finale du sommet. Cette flexibilité permet à l’Espagne de remplir ses obligations en atteignant les objectifs de capacités qui lui sont assignés par l’Alliance, avec un niveau de dépenses estimé à environ 2,1 % du PIB. Cette victoire diplomatique, qui a permis de préserver l’unité de l’Alliance lors du sommet, est la cause directe de la frustration et de la colère du président Trump, qui y a vu un défi à son autorité.  

Le défi de l’Espagne est probablement moins motivé par des contraintes budgétaires que par une divergence fondamentale des priorités stratégiques par rapport au consensus axé sur le flanc Est, qui motive d’énormes augmentations de dépenses ailleurs. La croissance économique robuste de l’Espagne suggère que trouver des fonds supplémentaires pour la défense est réalisable, ce qui affaiblit l’argument selon lequel sa position est purement une question de coût. La vague de dépenses post-2022 au sein de l’OTAN est principalement dictée par la menace d’une guerre terrestre conventionnelle avec la Russie, comme en témoigne l’engagement de la Pologne à dépenser 4,26 % de son PIB. La position géographique de l’Espagne implique que ses principales préoccupations en matière de sécurité sont différentes : la stabilité au Maghreb, la sécurité maritime en Méditerranée et dans l’Atlantique, la lutte contre le terrorisme et la gestion des migrations. Ces menaces exigent des capacités différentes (par exemple, des moyens navals, du renseignement, des forces spéciales) de celles d’une force blindée lourde conçue pour contrer une invasion russe. L’argument de l’Espagne en faveur de l’atteinte des « objectifs de capacités » est en réalité une manière de dire : « nous construisons l’armée dont nous avons réellement besoin pour notre environnement stratégique, et non celle qu’un objectif de 5 %, basé sur les préoccupations de sécurité de l’Europe de l’Est, nous imposerait ». L’attaque de Trump déforme ainsi un débat légitime sur les priorités stratégiques au sein de l’Alliance en le présentant comme un simple cas de parasitisme financier, mettant en lumière une fissure stratégique croissante entre les flancs nord/est et sud de l’OTAN.   

Un traité sans clause d’expulsion : L’hérésie juridique de la menace

 

Au-delà de la controverse politique, la menace du président Trump d’« expulser » l’Espagne se heurte à un obstacle fondamental et infranchissable : le droit des traités. Une analyse rigoureuse du texte fondateur de l’Alliance révèle que cette menace est une fiction juridique.

 

Analyse textuelle du Traité de l’Atlantique Nord

 

Le Traité de l’Atlantique Nord, signé à Washington en 1949, est le document juridique qui régit l’existence et le fonctionnement de l’OTAN. Une lecture attentive de ses quatorze articles montre sans équivoque qu’il ne contient aucune disposition permettant la suspension ou l’expulsion involontaire d’un État membre. Le traité établit les conditions d’adhésion (article 10) et de retrait (article 13), mais reste silencieux sur toute procédure d’exclusion. En vertu du principe fondamental du droit international pacta sunt servanda (les accords doivent être respectés), les termes du traité, tels qu’ils ont été écrits et ratifiés, sont contraignants pour toutes les parties. Menacer d’une action non prévue par le traité constitue une violation de l’esprit, sinon de la lettre, de cet engagement.  

 

L’article 13 : La seule porte de sortie

 

Le seul mécanisme prévu par le traité pour qu’un membre cesse d’être partie à l’Alliance est stipulé à l’article 13. Cet article est clair et ses caractéristiques sont essentielles à la compréhension de la crise actuelle :

  1. C’est un acte purement volontaire : « toute Partie peut cesser d’être Partie ». L’initiative doit venir de l’État membre lui-même. 
  2. Il requiert un préavis d’un an : L’État doit soumettre une « notification de dénonciation » qui ne prend effet qu’un an après son dépôt.   
  3. Le dépositaire est les États-Unis : La notification doit être remise au gouvernement des États-Unis, qui est le dépositaire officiel du traité. L’ironie de la situation actuelle est que le pays qui menace un allié est celui-là même qui est désigné par le traité pour recevoir les avis de retrait volontaire.  

En formulant une menace juridiquement impossible, le président Trump ne tente pas d’utiliser les mécanismes du traité, mais agit délibérément en dehors d’eux pour signifier que le cadre juridique de l’Alliance est sans pertinence face à sa volonté politique. Cela constitue une attaque contre l’ordre fondé sur des règles qui sous-tend l’OTAN elle-même. Une menace d’expulsion n’a aucun fondement dans le droit des traités qui régit l’Alliance ; c’est une fiction juridique. Un acteur rationnel ne formulerait pas une menace qui n’a aucun mécanisme d’application si son objectif était de travailler au sein du système existant. L’historique du président Trump en matière d’accords internationaux montre une volonté de rejeter ou de contourner les normes juridiques établies pour atteindre ses objectifs. Par conséquent, la menace n’est pas une erreur maladroite ; c’est un acte délibéré de coercition politique conçu pour démontrer le mépris des fondements juridiques et consensuels de l’Alliance. Elle vise à remplacer l’état de droit par la loi du plus fort, transformant fondamentalement l’OTAN d’un pacte d’égaux souverains en un système hiérarchique où l’allégeance est due à l’hégémon. Le dommage ne réside pas dans l’expulsion (impossible) de l’Espagne, mais dans l’érosion de la confiance dans le traité en tant que document juridique contraignant.  

 

La menace tacite : Le pouvoir présidentiel et le spectre du retrait américain

 

La menace contre l’Espagne, bien que spectaculaire, est en réalité un écran de fumée. Elle sert de substitut à la menace ultime, la seule qui donne un poids réel aux paroles du président Trump : un retrait unilatéral des États-Unis de l’OTAN. C’est cette possibilité qui constitue le véritable levier de Washington et la source d’une anxiété aiguë parmi les alliés.

 

Une crise constitutionnelle américaine

 

La question de savoir si un président américain peut se retirer unilatéralement d’un traité ratifié par le Sénat est une question constitutionnelle non résolue aux États-Unis. La Constitution américaine confère au président de larges pouvoirs en matière de politique étrangère, mais exige « l’avis et le consentement » du Sénat (à une majorité des deux tiers) pour la ratification des traités. Le texte est silencieux sur la procédure de retrait, créant une zone grise juridique qui oppose le pouvoir exécutif au pouvoir législatif.  

 

Le Congrès trace une ligne rouge : la section 1250A

 

Conscient de cette menace sous la première administration Trump, le Congrès américain a pris une mesure sans précédent pour protéger l’appartenance des États-Unis à l’OTAN. La loi d’autorisation de la défense nationale (NDAA) pour l’année fiscale 2024 contient la section 1250A, une disposition historique. Cette législation stipule explicitement que le président ne peut suspendre, dénoncer ou retirer les États-Unis du Traité de l’Atlantique Nord sans l’approbation d’une majorité des deux tiers du Sénat ou une loi du Congrès. De plus, elle interdit l’utilisation de fonds fédéraux pour soutenir une telle action unilatérale. Cette loi représente une tentative directe du Congrès de lier les mains du pouvoir exécutif sur cette question cruciale.  

 

Le contre-argument du pouvoir exécutif

 

Cependant, la branche exécutive a sa propre interprétation de la Constitution. Un avis du Bureau du conseiller juridique (OLC) du ministère de la Justice, datant de 2020, a avancé que le retrait d’un traité est un « pouvoir présidentiel exclusif » que le Congrès ne peut constitutionnellement pas restreindre. Selon cette doctrine, toute tentative du Congrès de dicter au président comment il doit exercer son pouvoir de conduire les relations étrangères, y compris la fin des obligations conventionnelles, serait une atteinte inconstitutionnelle à la séparation des pouvoirs. Cette divergence d’interprétation prépare le terrain pour une confrontation constitutionnelle majeure si un président décidait de défier la section 1250A et de procéder à un retrait unilatéral.   

La bataille juridique et politique sur l’appartenance des États-Unis à l’OTAN a transformé la sécurité collective de l’Alliance, qui relevait d’un droit des traités international bien établi, en un résultat contingent d’une lutte constitutionnelle interne aux États-Unis. Pendant 75 ans, l’engagement américain a été considéré comme un fondement de la sécurité internationale, régi par le Traité de l’Atlantique Nord. La combinaison de la rhétorique de Trump et de la riposte législative qui a suivi (Section 1250A) a révélé que la pérennité de cet engagement fait désormais l’objet d’un débat intense au sein des États-Unis. Les alliés européens sont désormais contraints d’assister en spectateurs à une lutte de pouvoir interne américaine entre les branches exécutive et législative, dont l’issue déterminera le sort de leur architecture de sécurité. La crédibilité de l’article 5 ne repose donc plus uniquement sur le texte du traité, mais sur les décisions potentielles de la Cour suprême des États-Unis dans une affaire hypothétique Trump contre le Congrès. Cela introduit un niveau d’incertitude profonde qui affaiblit fondamentalement la valeur dissuasive de l’Alliance, car les adversaires pourraient y voir une occasion de tester un engagement américain juridiquement contesté sur son propre sol.

 

Perspectives stratégiques : Naviguer dans une alliance fracturée

 

L’incident avec l’Espagne, qu’il reste au stade de la menace ou qu’il dégénère en une crise plus profonde, a déjà des conséquences stratégiques durables pour l’OTAN. Le dommage principal n’est ni financier ni militaire, mais réside dans une érosion catastrophique de la confiance, qui est le ciment de toute alliance de défense collective.

 

L’érosion de la confiance

 

La confiance est triple. Premièrement, la confiance des alliés dans les États-Unis en tant que partenaire fiable et prévisible est gravement endommagée. La menace d’utiliser l’Alliance comme un levier pour des objectifs politiques intérieurs ou personnels sape la garantie de sécurité qui est au cœur de l’article 5. Deuxièmement, la confiance dans le caractère contraignant du traité lui-même est ébranlée. Si un membre, en particulier le plus puissant, peut menacer d’ignorer les dispositions juridiques du traité, alors le pacte risque de devenir une coquille vide. Enfin, la confiance entre les alliés européens est mise à rude épreuve, car de telles crises peuvent exacerber les divisions et encourager des logiques de « chacun pour soi ».

 

Le catalyseur d’un « pilier européen »

 

Paradoxalement, la volatilité politique américaine pourrait être le moteur le plus puissant pour le développement d’un « pilier européen » plus cohérent et capable au sein de l’OTAN, et potentiellement pour une plus grande autonomie stratégique européenne en dehors de celle-ci. Les actions du président Trump, destinées à forcer la soumission européenne, pourraient accélérer leur quête d’indépendance vis-à-vis d’un Washington jugé peu fiable. Les initiatives visant à renforcer l’industrie de défense européenne, à mutualiser les achats militaires et à créer des structures de commandement européennes autonomes gagneront probablement en urgence et en soutien politique.   

 

Au-delà de la mesure du PIB

 

La crise est une occasion pour l’Alliance d’engager un débat sérieux et substantiel sur la nécessité de dépasser la mesure simpliste du PIB. Il est impératif de développer des critères de partage du fardeau plus « intelligents » qui tiennent compte des capacités réelles, de la déployabilité des forces, des contributions aux missions spécifiques de l’OTAN, de l’accueil de forces alliées sur son territoire et de la géographie stratégique. Une telle approche refléterait l’esprit de l’argument espagnol et permettrait une conversation plus mature et stratégiquement pertinente au sein de l’Alliance.

 

Recommandations pour l’Alliance

 

Face à cette crise existentielle, une approche attentiste n’est pas une option. Des actions concertées sont nécessaires pour renforcer la résilience de l’Alliance.

  1. Pour les membres européens et le Canada : Lancer immédiatement un examen stratégique formel pour développer un cadre de partage du fardeau plus résilient et équitable. Accélérer les initiatives d’achats conjoints, d’intégration industrielle de défense et la création d’une véritable structure de commandement européenne pour renforcer le « pilier européen ».
  2. Pour l’OTAN en tant qu’institution : Initier des dialogues diplomatiques de haut niveau, y compris des efforts de diplomatie parallèle (Track II), pour engager toutes les branches du gouvernement américain et l’écosystème politique américain au sens large afin de renforcer les arguments bipartisans en faveur de la valeur de l’Alliance pour la sécurité des États-Unis.
  3. Pour l’Espagne et les alliés partageant les mêmes idées : Former un groupe de pression au sein de l’OTAN pour promouvoir le passage de mesures de contribution basées sur les entrées (dépenses) à des mesures basées sur les sorties (capacités). Présenter un front uni peut mieux résister à la pression politique unilatérale et favoriser une conversation stratégique plus saine au sein de l’Alliance.