Brésil, l’eldorado de Stellantis : Quand la stratégie de Lula démantèle l’outil industriel français
L’Équation Stellantis : Croissance Brésilienne et Déchirement Géopolitique
L’actualité du géant Stellantis révèle un contraste saisissant, illustrant brutalement la nouvelle géographie de la production automobile mondiale. D’un côté, une croissance exubérante et des ambitions de leadership global en Amérique du Sud. De l’autre, une érosion des capacités industrielles et des menaces de restructuration qui pèsent sur les sites historiques français.
Cette « prophétie » a été lancée par Herlander Zola, PDG de Stellantis pour l’Amérique du Sud, lors d’une récente conférence de presse à São Paulo. Il a affirmé que le site de Betim, situé dans la région métropolitaine de Belo Horizonte, est en passe de devenir le leader mondial de la production du conglomérat, progressant (caminha a passos largos) vers cet objectif historique. Cette confiance s’appuie sur une performance spectaculaire : Stellantis, qui détient des marques phares comme Fiat, Jeep, Peugeot et Citroën, est déjà leader des ventes au Brésil (29 % du marché intérieur) et dans toute l’Amérique du Sud.
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Le paradoxe est d’autant plus frappant que cette célébration de la croissance brésilienne—production en hausse de 18 % au premier semestre 2025 (403 711 véhicules)—coïncide avec des périodes d’incertitude et d’arrêts de production multiples au sein de la « forteresse Europe ». Des usines européennes ont subi des suspensions ou des arrêts de chaînes ${^1}$, tandis qu’en France, des sites emblématiques comme Rennes et Sochaux sont confrontés à des suppressions d’emplois précaires et à des doutes fondamentaux sur leur avenir.
Cette divergence ne résulte pas du seul hasard économique ; elle est le fruit de choix stratégiques d’entreprise et, plus critiquement, de politiques industrielles nationales diamétralement opposées. Cet article analyse ce contraste brutal, opposant la détermination interventionniste du Président Lula au Brésil à l’approche libérale et idéologique de l’administration Macron en France, et met en lumière un système fiscal français qui semble protéger le capital récolté sur le dos du démantèlement industriel.
L’Ascension Inéluctable de Betim : La Nouvelle Priorité Stratégique
Les Chiffres Explosifs de la Production Brésilienne
Les données de production pour le Brésil en 2025 confirment la projection optimiste du PDG Zola. Au cours du premier semestre, la production totale de Stellantis au Brésil a atteint 403 711 véhicules, un bond de 18 % par rapport aux 342 213 unités enregistrées durant la même période en 2024. Le site de Betim s’est distingué comme le principal moteur de cette croissance, avec 248 935 véhicules produits, soit une progression de 16 % par rapport à janvier-juin 2024.
Ce rythme place Betim sur une trajectoire qui devrait largement dépasser son record de 2024 (près de 470 000 véhicules). En visant la barre des 500 000 unités en 2025, Betim se positionne pour détrôner d’autres pôles majeurs. Ce point de référence est crucial : en 2024, le plus grand volume productif de Stellantis se situait en Espagne, où les trois usines du groupe (Vigo, Saragosse et Madrid) ont produit 981 120 véhicules au total. L’ambition est donc de faire de Betim l’usine unique la plus productive du groupe, justifiant l’expression de « marche rapide » vers le sommet.
Le Repositionnement face au Risque Réglementaire Européen
L’ascension de Betim n’est pas un simple événement conjoncturel ; elle est le reflet d’un choix stratégique et fondamental du groupe Stellantis, obsédé par la marge opérationnelle et la minimisation des risques globaux. Le marché sud-américain offre une échappatoire aux contraintes réglementaires et aux coûts d’investissement faramineux qui frappent l’Europe.
Le continent européen est sous pression pour adopter rapidement la coûteuse transition vers le tout-électrique (normes 2035). Cette transition entraîne une incertitude de la demande et, comme en témoignent les arrêts de production, des situations de surstock . Le Brésil, en revanche, propose une stabilité du marché et une demande soutenue pour des plateformes éprouvées et hautement rentables (thermiques, hybrides ou axées sur les biocarburants).
L’afflux d’investissement et la concentration de la croissance sur Betim constituent donc une politique délibérée de couverture des risques. En privilégiant les modèles à forte marge et à faible risque réglementaire au Brésil, Stellantis protège sa rentabilité globale. La croissance de Betim est, par conséquent, la matérialisation d’un recul stratégique face aux obligations d’investissement en Europe.
L’Hémorragie Européenne : Le Prix du Contraste et la Menace Française
Alors que Betim célèbre une croissance à deux chiffres, le continent européen affiche les symptômes d’une crise de surcapacité et d’un repositionnement douloureux.
Symptômes de la Crise en Europe
La direction de Stellantis a pris des mesures drastiques en Europe, justifiant des arrêts de production massifs dans au moins sept usines, y compris des sites majeurs. Les raisons officielles invoquées—« surstock », « ajustement de production » ou « rééquilibrage de la demande » —masquent une réalité plus sombre : le PDG avait déjà revu à la baisse les prévisions pour 2025, évoquant une perte potentielle de trois millions de ventes en Europe. Cette situation est un indicateur clair de l’échec de la demande à suivre le rythme des investissements, accentuant la pression pour une rationalisation douloureuse de l’outil industriel.
La France Sous Tension : De Rennes à l’Ombre de Sochaux
L’onde de choc de cette rationalisation atteint directement les bassins d’emploi français. Le cas de l’usine de La Janais à Rennes est paradigmatique de la rationalisation en cours, ciblant les emplois précaires. Face à une baisse prévisible de la production, Stellantis a annoncé son intention de passer à une seule équipe de production dès janvier 2025. Cette décision entraînera la suppression immédiate de 250 postes d’intérimaires.
Cette saignée dans les effectifs précaires permet au groupe d’amortir le déclin de l’activité tout en préservant temporairement les salariés en CDI, illustrant une stratégie de gestion des risques sociaux par la précarisation. Pendant ce temps, l’incertitude demeure sur le site historique de Sochaux, cœur de l’ancienne Peugeot, constamment au centre des rumeurs de réouverture différée ou de menaces structurelles.
L’Apaisement de Rome face au Silence de Paris
L’analyse de la réponse gouvernementale face à la stratégie de Stellantis révèle une incapacité française à exercer une pression politique équivalente à celle de ses voisins. Après des mois de tensions avec le gouvernement Meloni, Stellantis a finalement clarifié sa stratégie en Italie en annonçant un engagement de 2 milliards d’euros d’investissements en 2025, accompagné de 6 milliards d’euros d’achats auprès de fournisseurs locaux.
Fait notable, ce plan a été négocié sans recourir aux subventions publiques, un gage de souveraineté industrielle pour l’Italie. Le Ministre italien des Entreprises a salué cette stratégie qui sécurise les usines et préserve l’emploi.
Le contraste avec la situation française est alarmant. Malgré les inquiétudes croissantes concernant des sites comme Rennes et Sochaux, l’État français n’a obtenu ni plan d’engagement ni garanties d’investissement d’une ampleur comparable. Cette passivité—ou cette incapacité à utiliser sa « main lourde » politique pour exiger des contreparties d’investissement concrètes—conforte l’idée que le gouvernement français n’a pas su protéger ses outils de production face aux impératifs de rentabilité globale du groupe.
Deux Mondes, Deux Stratégies Industrielles : Lula vs. Macron
Le destin divergent des sites de production Stellantis au Brésil et en France est indissociable des philosophies de politique industrielle menées par leurs chefs d’État respectifs.
Le Modèle Lula : La Souveraineté par l’Intervention
Le Brésil, sous la direction du Président Lula, a réaffirmé une politique industrielle de nature dirigiste. Cette approche vise explicitement à garantir la souveraineté économique nationale. Lula ne cherche pas à abandonner le secteur ; au contraire, il mise sur l’électrique et, de manière plus pragmatique, sur les biocarburants (éthanol) pour relancer et moderniser la production nationale de véhicules.
Cette intervention active, axée sur le soutien et le développement des capacités domestiques, crée un environnement stable et prévisible pour les constructeurs qui choisissent de s’y implanter durablement. En consolidant la production automobile, Lula s’assure un pilier économique fort, générant des emplois et renforçant son influence géopolitique. C’est l’exemple d’un Président qui utilise le levier étatique pour défendre et développer l’outil de production de son pays.
Le Modèle Macron : L’Idéologie et le Désarmement
La politique industrielle française sous Emmanuel Macron a suivi une trajectoire différente, privilégiant une approche libérale et « transversale ». L’accent a été mis sur le rétablissement de la “compétitivité globale”, plutôt que d’intervenir directement par des injonctions sectorielles fortes.
Cependant, cette approche se heurte au dogme de la transition écologique européenne. L’administration Macron est perçue comme un moteur du Green Deal et de l’imposition de la fin du moteur thermique en 2035 . Cette décision, considérée par certains au Sénat français comme dogmatique et prise sans étude d’impact suffisante, fragilise profondément l’industrie automobile européenne face à la concurrence chinoise.
Face à ce péril industriel et aux délocalisations rampantes de Stellantis, la réponse française est jugée inadéquate. Le maintien des dispositifs d’aide à la recherche ne compense pas le manque de stratégie claire et protectrice, conduisant certains à qualifier la riposte gouvernementale de « pistolet à bouchon » face au démantèlement industriel. L’idéologie climatique, promue par les choix européens de la France, semble avoir primé sur la protection de l’emploi et de l’outil national.
L’Échec de la Sécurisation de la Plateforme STLA
L’échec n’est pas uniquement philosophique ; il est stratégique dans l’architecture industrielle de Stellantis. Le groupe mise son avenir sur la nouvelle plateforme électrique STLA, qui exige des volumes de production massifs et centralisés.
Le gouvernement français n’a pas réussi à sécuriser une place de choix pour ses usines historiques dans cette nouvelle architecture électrifiée. Les investissements majeurs sont alloués aux États-Unis (13 milliards d’euros) ${^12}$, à l’Italie (2 milliards d’euros) ${^11}$ et au Brésil. Les sites français se retrouvent en concurrence directe avec d’autres usines européennes plus compétitives en termes de coûts ${^1}$. L’absence de garanties fermes sur l’allocation de plateformes STLA à haut volume pour les usines françaises les laisse vulnérables aux « ajustements » permanents.
Le Scandale des Plus-values : La Prime au Démantèlement du Capital
Le Cynisme du Dispositif et la Monétisation du Démantèlement
La valeur de l’outil industriel français (son savoir-faire, ses infrastructures) a été financée par l’investissement public et le travail socialisé. Aujourd’hui, cette valeur est en partie délocalisée (vers Betim) ou mise à l’arrêt (à Rennes).
Lorsque la restructuration implique la cession d’actifs ou la valorisation de terrains industriels désormais considérés comme des friches, les actionnaires et les hauts dirigeants peuvent réaliser des gains importants. Le paradoxe est que l’État, garant de la cohésion sociale, se retrouve à financer le coût de la destruction de l’outil de production (chômage, reconversion des 250 intérimaires de Rennes) tout en amortissant implicitement la taxation sur les gains du capital réalisé par les restructurateurs.
Ce dispositif fiscal, quelle que soit son application directe aux transactions macroscopiques de Stellantis, symbolise une philosophie d’État qui favorise la fluidité et la rentabilité privée du capital, tout en laissant la charge des conséquences sociales peser sur la collectivité. Les profits sont privatisés, et les pertes sociales sont nationalisées.
L’Urgence d’une Riposte Souveraine
L’analyse de la stratégie globale de Stellantis montre un fossé grandissant entre la vitalité industrielle en Amérique du Sud et l’érosion continue en France. Le Brésil, grâce à la volonté politique souveraine du Président Lula, s’affirme comme le futur leader de la production Stellantis. Pendant ce temps, la France, sous l’impulsion d’une politique industrielle libérale et d’un alignement dogmatique sur le calendrier de la transition écologique, assiste impuissante à la fuite de son outil productif.
Les conséquences sont claires : les travailleurs français paient le prix de l’ajustement (les 250 intérimaires de Rennes ), tandis que les détenteurs de capitaux bénéficient d’un dispositif fiscal qui protège leurs plus-values. C’est une confirmation amère : l’État français protège la rentabilité privée du capital au détriment de l’emploi socialisé.
Pour inverser le déclin, la France doit rompre avec sa passivité. Il est impératif d’adopter, à l’instar de l’Italie ou du Brésil, une approche de politique industrielle interventionniste. L’État doit utiliser tous les leviers disponibles—fiscaux, réglementaires et politiques—pour exiger des constructeurs des engagements fermes et pérennes sur l’emploi et le volume de production. L’heure n’est plus à la « startup nation » sans usine, mais à la protection active de Sochaux et de l’ensemble de l’écosystème automobile français. Sans une riposte souveraine et rapide, l’horizon industriel français sera défini par la seule logique de maximisation des profits de Stellantis, au détriment de l’intérêt national.


	
	
	
	
	