La Soif Cachée de l’IA : Réfutation des Nouveaux Dénis et Enquête sur les Conflits d’Usage de l’Eau
En Arizona, des projets de logements sont annulés pour faire place à des data centers. En Oregon, des géants de la tech poursuivent des journaux en justice pour cacher leur consommation. Pendant que le public débat de “50cl”, une enquête sur la véritable soif de l’IA, celle qui se compte en milliards de litres d’eau potable.
Le Mirage d’Arizona
L’air de Mesa, en Arizona, est sec. La terre est craquelée. Ici, chaque goutte d’eau est un trésor, une promesse de vie dans un État en “sécheresse extrême”. C’est sur cette terre aride qu’un projet de 9 700 logements, une communauté nommée Cipriani, devait voir le jour.
Aujourd’hui, le projet est mort. Le terrain a été revendu. Il n’accueillira pas de familles, mais des serveurs. Le “Buckeye Tech Corridor” s’étendra à la place, prêt à accueillir les cerveaux de l’intelligence artificielle.
Cette histoire n’est pas une anecdote. C’est la nouvelle ligne de front d’un conflit invisible. Pendant que le grand public s’écharpe sur Internet, cherchant à savoir si une conversation avec ChatGPT consomme “vraiment” 50 centilitres d’eau, l’équivalent d’une petite bouteille, une réalité bien plus massive est à l’œuvre.
C’est précisément sur cette diversion que prospèrent des publications comme lel.media, avec leur article “la-fake-news-des-50cl”. L’argumentaire est un cas d’école de la tactique de l’homme de paille. En fixant le débat public sur ce seul chiffre de 50cl, ils l’attaquent comme “exagéré” tout en commettant une omission intellectuelle fatale : ils ignorent délibérément l’empreinte indirecte. C’est l’eau consommée hors-site, par les centrales électriques, pour produire les térawattheures d’électricité que l’IA dévore. L’ironie la plus cruelle ? Ce chiffre de 50cl, que lel.media s’acharne à discréditer, est déjà obsolète. Les auteurs de l’étude eux-mêmes ont averti qu’il s’agissait d’une sous-estimation conservatrice. Le site mène donc un combat d’arrière-garde contre un chiffre trop bas, servant d’écran de fumée pour masquer la réalité : la soif réelle de l’IA est bien pire que la “fake news” qu’ils prétendent dénoncer.
La Confession
La vérité n’est pas sortie d’un rapport clandestin, mais des documents officiels de l’industrie elle-même. En 2024, les rapports environnementaux, habituellement noyés dans le jargon du “greenwashing”, contenaient une bombe.
Google a parlé en premier. Son rapport est formel : sa consommation d’eau a bondi de 17% en un an. La cause ? Le rapport la nomme explicitement : “l’expansion des produits et services d’IA”.
Le chiffre total est de 32,7 milliards de litres. Mais le détail le plus accablant est ailleurs. Oubliez l’eau de rivière ou l’eau recyclée. Le rapport de Google précise que 78% de l’eau pompée par ses data centers était de l’eau potable.
De l’eau, traitée et propre à la consommation, qui n’ira ni dans les verres des habitants, ni dans les systèmes d’irrigation des agriculteurs. Elle partira en vapeur pour refroidir des processeurs.
Microsoft, de son côté, s’est engagé à devenir “Water Positive”. Une belle promesse marketing qui ressemble étrangement à la “compensation carbone”. Elle signifie que l’entreprise continue de pomper des milliards de litres (6,4 milliards en 2022) dans des zones en stress hydrique, tout en finançant, peut-être, la restauration d’une tourbière à l’autre bout du monde. Pour l’agriculteur de l’Arizona, le compte n’y est pas.
Le Mur de Brume
Mais pourquoi tant d’eau ? L’argument des détracteurs est simple : “un serveur ne boit pas”. C’est vrai. Il transpire.
Les milliers de processeurs graphiques (GPU) qui alimentent l’IA génèrent une chaleur colossale. Pour y faire face, l’industrie a fait un choix. Pour économiser de l’énergie (et afficher un bon score “vert” PUE), elle a choisi de ne pas utiliser la climatisation, trop gourmande.
Elle a préféré le refroidissement “adiabatique”.
Imaginez un immense hangar où l’air chaud et sec est forcé à travers un “mur” de brume, une paroi de médias humides. L’eau s’évapore, l’air se refroidit, les serveurs sont sauvés. C’est le principe de la sueur. L’inconvénient ? C’est une perte nette. L’eau, souvent potable, est transformée en vapeur et disparaît du bassin versant local.
C’est ce dilemme qui pousse aujourd’hui Microsoft à investir des milliards dans un design “zéro eau”. Pourquoi une entreprise investirait-elle autant pour résoudre un problème qui, selon ses défenseurs en ligne, n’existe pas ?
Étude de cas : Microsoft (Rapports 2024)
Microsoft présente une situation similaire.
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L’ampleur : Dans son rapport 2022 (données citées en décembre 2023), Microsoft a déclaré une consommation de 6,4 millions de mètres cubes (6,4 milliards de litres) d’eau pour l’ensemble de ses data centers. Le rapport compare cela à “2 500 piscines olympiques”.
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Le stress hydrique : Microsoft a admis en 2023 que 42% de l’eau qu’elle prélevait provenait de “zones soumises à un stress hydrique”.
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La rhétorique “Water Positive” : Comme Meta , Microsoft s’est engagé à devenir “Water Positive” d’ici 2030. Cet engagement, cependant, est un parallèle direct avec la “compensation carbone”. Il ne signifie pas que l’entreprise cesse de consommer de l’eau ; il signifie qu’elle compense sa consommation en finançant des projets de restauration hydrique, souvent dans d’autres régions ou pays.
Pour une communauté en Arizona dont l’aquifère est pompé par un data center, le fait que l’entreprise finance la restauration d’une tourbière en Irlande est une fiction comptable qui ne résout pas le conflit d’usage local.
Tableau de synthèse : Les aveux des géants de la tech (Données 2023-2024)
Ce tableau résume les données auto-déclarées par les entreprises, les rendant incontestables et exposant la contradiction entre leurs engagements marketing et la réalité opérationnelle.
| Entreprise | Consommation d’Eau Déclarée | Variation Annuelle (2022-2023) | Cause de la Variation (si citée) | % Eau Potable | % Sites en Zone de Stress Hydrique | |
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8.65 milliards Gallons (32.7 Md L) (2023) |
+17% |
“Expansion de l’IA” |
78% |
30% |
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| Microsoft |
6.4 millions m (6.4 Md L) (2022) |
N/A (mais +34% en 2022 vs 2021) |
N/A (mais lie IA et demande) |
N/A |
42% |
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| Meta | Données non agrégées | N/A | N/A | N/A |
Sites à Mesa, AZ (zone stressée) |
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| Monde | N/A | N/A | N/A | N/A |
43% des data centers mondiaux |
Les données confirment que la consommation d’eau n’est pas une “fake news”, mais un coût opérationnel croissant, directement lié à l’IA, et puisant dans les réserves d’eau potable au cœur de zones en stress hydrique.
Le Secret et la Réfutation
La consommation d’eau de l’IA n’est pas seulement un problème technique ; c’est devenu un secret politique.
À The Dalles, en Oregon, les data centers de Google consommaient déjà “un quart de toute l’eau de la ville”. Lorsque le journal local, The Oregonian, a demandé les chiffres, la ville (financée par Google) a fait l’impensable : elle a poursuivi le journal en justice. L’argument ? La quantité d’eau publique consommée par une multinationale était un “secret commercial”.
Il a fallu une longue bataille juridique pour que les tribunaux obligent Google à la transparence. L’article de lel.media et sa croisade contre “50cl” s’effondrent donc face aux faits.
Leur premier argument ? C’est une “fake news”. Réfutation : C’est une étude scientifique qu’ils attaquent, une étude dont les auteurs ont déjà revu le chiffre à la hausse, jugeant la réalité pire que leur estimation.
Leur deuxième argument ? Les data centers sont “verts” et n’utilisent pas d’eau. Réfutation : C’est ignorer le dilemme du refroidissement, un dilemme confirmé par Google qui admet que 78% de son eau est potable.
Leur dernier argument ? S’accrocher à l’hyperbole d’un intervenant (comme Didier Van Cauwelaert) pour invalider tout le problème. Réfutation : C’est une erreur grossière. C’est une diversion pour que le public ignore les faits bien plus graves qu’ils omettent de citer :
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L’aveu de Google : +17% de consommation d’eau à cause de l’IA.
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L’aveu de Microsoft : Des milliards investis dans le “zéro eau”, prouvant que le design actuel est un désastre hydrique.
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Le conflit d’usage : Des projets de 9 700 logements annulés pour des data centers dans des zones de sécheresse.
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La dissimulation : Le procès de Google contre un journal pour cacher sa consommation d’eau publique.
Non, l’article de lel.media n’est pas une enquête. C’est une distraction. C’est un écran de fumée qui sert un agenda industriel cherchant à éviter la transparence et la régulation. Le vrai problème n’est pas immatériel ; il est physique et politique. Le choix d’allouer des milliards de litres d’eau potable à une industrie opaque, tout en la refusant aux agriculteurs et aux résidents, n’est pas une fatalité. C’est un choix de société.
La question n’a jamais été de savoir si 50cl était le bon chiffre. L’enjeu, c’est que des milliards de litres d’eau potable sont privatisés pour un usage industriel opaque, dans des zones où cette même eau manque pour les cultures et les logements. Le débat n’est pas technique. Il est un choix de société : des chatbots ou des agriculteurs ? L’IA ou les 9 700 familles qui ne vivront jamais à Cipriani ?
Source :
- https://www.eesi.org/articles/view/data-centers-and-water-consumption
- https://www.aquatechtrade.com/news/water-reuse/google-water-stewardship-environmental-report-ai
- https://www.theguardian.com/environment/2025/apr/09/big-tech-datacentres-water
- https://data.consilium.europa.eu/doc/document/ST-7842-2024-ADD-1/en/pdf


