Leroy Merlin et Girondins de Bordeaux : Pourquoi les marques deviennent les nouvelles cibles de l’extrême droite ?

 

En l’espace de quelques jours, l’enseigne de bricolage et le club de football historique se sont retrouvés, bien malgré eux, au cœur d’une tempête numérique. Pris en étau entre gestion de l’image de marque et militantisme politique, ils subissent des appels au boycott virulents. Décryptage d’un phénomène où les réseaux sociaux deviennent un tribunal politique.

C’est une séquence qui illustre parfaitement la fracture numérique et politique actuelle en France. D’un côté, Leroy Merlin, géant de l’habitat ; de l’autre, les Girondins de Bordeaux, monument du football français. Deux entités apolitiques par nature, qui ont pourtant dû faire face cette semaine à une vague d’indignation coordonnée venant de la sphère “patriote” et d’extrême droite sur les réseaux sociaux (notamment X, anciennement Twitter).

Mais que s’est-il réellement passé, et pourquoi ces incidents révèlent-ils une mutation profonde du débat public en France ?

Leroy Merlin et Girondins de Bordeaux Pourquoi les marques deviennent les nouvelles cibles de l’extrême droite

Leroy Merlin et Girondins de Bordeaux Pourquoi les marques deviennent les nouvelles cibles de l’extrême droite

La mécanique de l’incident : Deux étincelles, un même incendie

 

Bien que les contextes diffèrent, le schéma de la polémique reste identique : une marque réagit pour protéger son image, et cette réaction est interprétée comme un affront politique par une partie de l’opinion.

Le cas Leroy Merlin : La guerre de la publicité programmatique

 

Tout part d’un signalement du collectif Sleeping Giants. Ce groupe d’activistes interpelle régulièrement les entreprises dont les publicités apparaissent (souvent automatiquement via des algorithmes) sur des sites qu’ils jugent diffuser des discours de haine, racistes ou xénophobes.

  • Les faits : Sleeping Giants signale à Leroy Merlin qu’une de leurs bannières pub s’affiche sur le site Frontières (média classé à l’extrême droite).

  • La réaction : Soucieuse de sa “Brand Safety” (la sécurité de sa marque), l’enseigne décide de retirer ses publicités de ce support.

  • La conséquence : Cette décision technique et éthique est vécue par les lecteurs et soutiens du site comme une censure politique. Les appels au boycott #BoycottLeroyMerlin fleurissent instantanément.

Le cas Girondins de Bordeaux : Le maillot de la discorde

 

Ici, la polémique est plus symbolique. Éric Zemmour, président du parti Reconquête, s’affiche sur les réseaux sociaux tout sourire, arborant le maillot au scapulaire des Girondins.

  • La réaction du club : Dans un communiqué ferme, le club réagit sans citer le politique, mais le message est clair.

« Le club rappelle que le maillot marine et blanc incarne des valeurs de sportivité et de respect. C’est un club populaire, ouvert, solidaire et inclusif, porté par toutes et tous sans distinction. Il ne sera jamais utilisé par celles et ceux qui cherchent à diviser. »

    • La conséquence : Une levée de boucliers immédiate de la part des militants d’extrême droite, accusant le club de faire de la politique au lieu de se concentrer sur ses résultats sportifs.

Pourquoi Leroy Merlin et les marques “plient” ? L’impératif de la “Brand Safety”

 

Pour comprendre pourquoi Leroy Merlin retire ses publicités, il faut sortir de la lecture purement politique. C’est avant tout une logique économique et marketing.

Les grandes entreprises ont horreur de la controverse. Dans le marketing digital, le concept de Brand Safety est primordial : une marque de famille comme Leroy Merlin ne veut pas que son logo soit associé à des contenus clivants, qu’il s’agisse de pornographie, de violence extrême ou de discours politiques radicaux.

Lorsqu’une marque “blacklist” un site comme Frontières, elle ne le fait pas nécessairement par militantisme gauchiste, mais pour revenir à une neutralité commerciale : vendre des perceuses à tout le monde, sans cautionner un discours politique. Paradoxalement, c’est cette recherche de neutralité qui est aujourd’hui attaquée.

L’extrême droite a-t-elle une “prime” sur les réseaux sociaux ?

 

C’est la question centrale. Pourquoi ces polémiques prennent-elles une telle ampleur si vite ?

L’algorithme de la colère

 

Les réseaux sociaux, et particulièrement X (Twitter) depuis son rachat par Elon Musk, favorisent les contenus qui génèrent de l’émotion forte (indignation, colère). Les mouvements d’extrême droite et identitaires ont parfaitement intégré ces codes :

  • Réactivité immédiate : Capacité à lancer un hashtag en quelques minutes.

  • Effet de meute : Les comptes influents relaient l’information, suivis par des milliers de comptes anonymes qui amplifient le message.

  • La victimisation : Le narratif est toujours le même : “On nous censure”, “Les marques sont wokes”, “Ils détestent la France”.

Cette maîtrise de l’agitation numérique donne l’impression d’une vague immense, même si elle ne représente pas nécessairement l’opinion majoritaire des clients de Leroy Merlin ou des supporters des Girondins.

Que se passe-t-il en France ? La bataille culturelle

 

Ces deux affaires sont les symptômes d’un climat de tension inédit en France. Nous assistons à une américanisation du débat, où la consommation devient un acte politique.

  • Le “Name and Shame” : D’un côté, les Sleeping Giants font pression sur les revenus publicitaires des sites d’opinion.

  • Le Boycott punitif : De l’autre, la “fachosphère” tente d’infliger des pertes économiques aux marques jugées trop progressistes ou “wokes”.

Les entreprises se retrouvent piégées. Si elles ne disent rien, elles sont accusées de financer la haine (par les Sleeping Giants). Si elles agissent, elles sont accusées de censure (par l’extrême droite).

Une ligne de crête impossible ?

 

Pour Leroy Merlin comme pour les Girondins, l’objectif est de revenir le plus vite possible à leur cœur de métier. Mais l’enseignement de cette semaine est clair : en 2024, aucune marque n’est à l’abri de devenir un champ de bataille idéologique. La neutralité absolue n’existe plus sur les réseaux sociaux ; le silence est suspect, et la parole est risquée.