Le charnier de Rio : un parfum de mort inédit qui m’a foudroyé.

Je n’ai pas grandit dans une favela mais le Brésil est mon pays d’adoption, le pays de mon fils qui est partagé entre deux cultures. je me dois écrire cet article. Mais attention, la France n’a pas donné à var actu le ticket pour un journal. Et je n’ai pas de carte de presse, donc il est très dangereux pour moi qui est un correspondant pour faut qu’on en parle d’écrire sur un sujet comme celui-ci. Mais je dois le faire, car ici c’est une chose horrible atroce.

 

Les Favelas une histoire tragique une nouvelle fois

J’ai déjà vu des fusillades, des morts devant moi tué par balle, des opérations de police qui tournent mal, la douleur des mères. Je pensais avoir compris la complexité de la “guerre” que se livrent l’État et les factions criminelles.

Mais ce qui s’est passé ce mardi 28 octobre, et ce que j’ai vu le lendemain, dépasse tout ce que j’ai écrit. Et ici, je vais vous proposer un résumé et un article d’un journaliste brésiliens qui doit être traduit en français.

Ce qui s’est passé en quelques heures une pluie de balles tombent du ciel

 

Le mardi 28 octobre, à l’aube, environ 2 500 policiers ont lancé une méga-opération, baptisée “Contenção”, dans les complexes de favelas de l’Alemão et de la Penha, au nord de Rio. L’objectif officiel était de déstabiliser la faction criminelle du Comando Vermelho (CV).

Ce que nous savons, c’est que cette opération était compromise. Des documents ont montré que les forces de l’ordre elles-mêmes savaient, au moins quatre heures avant l’assaut, que l’information avait fuité, notamment après une fusillade avec des chefs du CV qui prenaient la fuite.

Malgré cela, l’ordre a été maintenu. L’incursion a eu lieu.

Le premier bilan officiel, donné par le gouvernement de l’État, était déjà effroyable : 64 morts. Mais la réalité était bien pire. Dès le mercredi 29, les habitants ont commencé à parler de dizaines d’autres corps, cachés dans la zone boisée au sommet de la colline, la Serra da Misericórdia.

Le bilan final officiel est tombé : 121 morts. C’est, à ce jour, l’opération de police la plus meurtrière de l’histoire de l’État de Rio de Janeiro.

L’horreur vue de l’intérieur

 

Les chiffres, aussi terribles soient-ils, sont abstraits. 121 morts. Pour comprendre la réalité de ce “succès opérationnel”, comme l’ont qualifié certaines autorités, il faut écouter ceux qui l’ont vécu.

Je n’ai pas les mots pour décrire la scène à laquelle j’ai devant la télé, le 29 octobre. Mais un journaliste brésilien,  “cria da favela” (né et élevé dans la favela), l’a fait. Son témoignage, que je retranscris ici, est plus puissant que n’importe quelle analyse. Il raconte ce que les chiffres ne disent pas : la faillite de l’État et l’odeur de la mort.

Voici son récit.

 

Je suis né au cœur d’une ruelle, dans la plus grande des favelas, la Rocinha. Pour moi, la mort n’a jamais été une entité lointaine ou une abstraction. Elle a toujours été la voisine de palier, la sirène qui déchire la nuit, le nom qu’on raye d’une liste d’appel. J’ai grandi en composant avec le risque et la perte. La cible, d’une manière ou d’une autre, a toujours été pointée sur nous.

Pourtant, la scène qui s’est révélée au pied de la Serra était un spectacle d’horreur que même la mémoire la plus endurcie, la plus “calejada”, ne pouvait anticiper.

Ce n’était pas la mort clinique d’un hôpital ou la froideur aseptisée de l’institut médico-légal. C’était la mort brute, capturée dans la chaleur du désespoir. C’était un entassement de corps, descendus de la colline dans une procession macabre et douloureuse. L’ampleur était effroyable. Il n’y en avait pas trois, ni cinq. Il y en avait des dizaines. Une file, la plus longue et la plus insoutenable que j’aie jamais eu à documenter.

Et le pire, la honte absolue, ce n’était pas l’absence des véhicules officiels ou des agents de l’État, qui tardaient à venir ou, pire, feignaient de ne pas voir. Le pire, c’est que c’étaient des enfants, des jeunes habitants de la Penha, avec leurs bras maigres et leur regard vide, qui accomplissaient la tâche qui incombe à l’État.

À chaque corps qui descendait la colline, enveloppé à la hâte dans des draps ou des couvertures, parfois jeté dans des voitures improvisées, s’ajoutait le poids écrasant de l’omission institutionnelle. La communauté, une fois de plus, était contrainte de jouer tous les rôles simultanément : fossoyeur, témoin et victime. C’était l’État, dans sa forme la plus cruelle, sous-traitant la récupération de ses propres morts à ceux qu’il a abandonnés depuis toujours.

Ces mains d’enfants, qui auraient dû tenir des livres, des manettes de jeu ou des ballons, agrippaient des membres froids, des corps violés. Certains corps portaient des signes évidents de violence extrême, des marques de coups de couteau, des mutilations. L’accusation de torture et d’exécution sommaire était là, murmurée entre les sanglots des mères, une vérité sombre qui explosait en plein visage des discours officiels célébrant le “succès de l’opération”. Cette scène était un coup de poing dans l’estomac de la société : la vie noire et pauvre, traitée comme un déchet.

 

Et puis, il y a eu l’odeur.

La mort a une odeur. Je l’ai toujours su. Mais cette mort-là avait un arôme inédit, une concentration de douleur et de violence si intense qu’elle m’a paralysé sur place. Ce n’était pas seulement l’odeur métallique du sang coagulé ou le début de la décomposition. C’était un mélange complexe, chimique et émotionnel, qui s’imprégnait dans les vêtements, sur la peau, et jusque dans l’âme.

C’était l’odeur de la poudre à canon encore fraîche, de la guerre qui venait de produire cette tragédie. C’était l’odeur forte et âcre de la terre retournée et de la forêt humide, la trace de la chasse à l’homme et du désespoir final. C’était l’odeur du deuil non encore processé, une odeur acide, presque métallique, qui émanait de la désespérance et des cris étouffés des mères et des sœurs qui s’effondraient en reconnaissant l’un des leurs à un détail, une chaussure, un tatouage.

Et par-dessus tout, il y avait l’odeur de l’indifférence. Ironiquement, c’est la plus suffocante de toutes. L’odeur de l’impunité.

On dit que celui qui est “cria da favela” est endurci pour la vie. C’est une vérité partielle. Mais nous restons faits de chair, d’os, et d’un cœur qui s’obstine à battre. Je pensais sincèrement avoir tout vu. Je pensais que cette cible constante sur nos fronts nous immunisait contre le choc. C’est un mensonge que nous nous racontons pour survivre.

Aujourd’hui, la mort m’a surpris. Non par sa présence, que je connais trop bien, mais par son impudence, son exposition obscène et cruelle. Elle m’a choqué, non pas en tant que journaliste qui documente un fait, mais en tant qu’enfant de la favela qui assiste à un génocide à échelle industrielle. J’ai vu la faillite morale et structurelle d’un pays qui permet que ses enfants les plus vulnérables deviennent des statistiques, et pire, qu’ils soient ramassés par d’autres enfants.

Je me souviens d’opérations passées, comme la traînée de sang laissée dans l’Alemão en 2007, qui avait choqué le pays. Mais l’ampleur de celle-ci, avec ces dizaines de corps descendus de la Serra, marque un avant et un après. Que peut-on dire quand le massacre est si vaste que les habitants eux-mêmes doivent se transformer en morgues humaines ambulantes pour que le monde voie enfin ce que la forêt cachait ?

La Serra da Misericórdia est, à partir de d’aujourd’hui, un mémorial non officiel. Un monument érigé à notre honte collective. Et cette odeur… elle ne quittera pas mes narines, ni ma mémoire. C’est le rappel fétide que même pour ceux qui vivent en permanence dans la ligne de mire, il existe toujours un nouveau palier à atteindre dans l’horreur.

Edu Carvalho Folha de Sao Paulo, son article doit être traduit en français et nous devons vous le partager