Louvre la Galerie Campana fermée d’urgence, symbole d’un musée au bord de la rupture

 

Lundi 17 novembre 2025 marquera une date sombre dans l’histoire du plus grand musée du monde. En quelques heures, l’administration a ordonné l’évacuation totale de l’aile Sully et la fermeture indéfinie de la célèbre Galerie Campana. Derrière cette décision radicale se cache un rapport d’audit accablant révélant une menace d’effondrement, à peine un mois après un cambriolage spectaculaire dans la même zone. Enquête sur une « année noire » qui ébranle les fondations du palais.

C’est une décision d’une brutalité inédite dans l’histoire récente du musée du Louvre. Pas de préavis, pas de calendrier de travaux progressifs, mais un arrêt immédiat. Depuis lundi, les lourdes portes de la Galerie Campana, qui abrite l’une des plus belles collections de céramiques grecques au monde, sont closes.

Ce qui a été présenté initialement comme une « mesure de précaution » par la direction cache en réalité une situation d’urgence absolue. Selon nos informations, un audit technique remis le 14 novembre a mis en lumière une « pathologie structurelle profonde ». Les poutres maîtresses soutenant les planchers du deuxième étage — situées juste au-dessus des inestimables vases grecs — présentent une fragilité telle qu’elles menacent de céder sous le poids des bureaux administratifs.

La réaction ne s’est pas fait attendre : soixante-cinq agents, conservateurs et administratifs, ont reçu l’ordre d’évacuer leurs bureaux situés à la verticale des collections sous 72 heures. Une décision drastique recommandée par l’architecte en chef des monuments historiques, François Chatillon, pour qui le risque d’effondrement sous la « surcharge d’exploitation » n’est plus une hypothèse, mais une menace imminente.

Un héritage toxique des années 1930

 

Comment le palais des rois de France peut-il menacer de s’écrouler en 2025 ? L’ennemi ne vient pas de la Renaissance, mais du XXe siècle. L’audit pointe du doigt les rénovations de l’entre-deux-guerres. Dans les années 1930, pour moderniser le musée, les architectes ont inséré du béton armé et des poutrelles métalliques au cœur des maçonneries anciennes.

« L’ingénierie de l’époque maîtrisait imparfaitement le comportement à long terme de ces matériaux en milieu confiné. »

C’est ce mélange qui, près d’un siècle plus tard, se révèle toxique. Le métal, emprisonné, a subi une corrosion lente et invisible. En rouillant, il gonfle, faisant éclater le béton et déstabilisant les structures. Ce phénomène de « fatigue mécanique » s’est brutalement accéléré, probablement sous l’effet des vibrations et des variations thermiques, rendant la zone critique.

Le « Sarcophage des Époux » pris au piège

 

Pour les amoureux du patrimoine, le coup est rude. La Galerie Campana n’est pas une simple enfilade de salles ; c’est un trésor historique inauguré en 1863 pour accueillir la collection mythique du marquis Giampietro Campana.

La fermeture rend inaccessibles plus de 10 000 objets, dont l’iconique Sarcophage des Époux. Ce chef-d’œuvre de l’art étrusque, fragile terre cuite du VIe siècle av. J.-C., se trouve désormais dans la zone rouge. Son évacuation constituerait un défi logistique immense : comment déplacer ce colosse friable sans risquer de le briser, alors même que le plafond qui le surplombe menace de céder ?

Le drame est aussi esthétique. Les plafonds peints du musée Charles X, qui narrent l’histoire de France au-dessus des vitrines, sont solidaires de la structure défaillante. Si les poutres bougent, ces toiles marouflées du XIXe siècle risquent la déchirure.

La séquence noire : cambriolage et obsolescence

 

Cette crise structurelle intervient dans un climat déjà délétère. Il y a moins d’un mois, le 19 octobre, cette même aile Sully était le théâtre d’un cambriolage d’une audace folle, où un commando a dérobé pour 88 millions d’euros de joyaux de la Couronne.

La coïncidence est troublante : les voleurs sont passés par ce deuxième étage aujourd’hui évacué pour péril. L’image du musée en ressort terriblement ternie. Incapable de protéger ses bijoux des voleurs en octobre, le Louvre s’avoue en novembre incapable de protéger ses œuvres de ses propres murs.

Cette double crise valide cruellement les avertissements lancés en début d’année par Laurence des Cars. Dans un mémorandum confidentiel, la présidente-directrice alertait le ministère de la Culture sur un « niveau d’obsolescence inquiétant » (alarming level of obsolescence) généralisé : fuites d’eau, ruptures de canalisations et saturation des espaces.

Vers une fermeture de plusieurs années ?

 

Le plan « Nouvelle Renaissance » promis par le gouvernement semble aujourd’hui bien loin de la réalité du terrain, où la maintenance préventive a trop longtemps été sacrifiée au profit de la course au gigantisme et aux expositions temporaires. Avec 8 millions de visiteurs annuels, le musée use ses infrastructures plus vite qu’il ne les répare.

Désormais, la question n’est plus de savoir quand la galerie rouvrira, mais si elle pourra être sauvée sans dégâts majeurs. Le chantier qui s’annonce est titanesque : déménagement des collections, désamiantage, démolition des planchers des années 30 et reconstruction, le tout en milieu classé. Les experts évoquent déjà une fermeture de trois à cinq ans minimum.

L’aile Sully est désormais un malade sous assistance respiratoire. Dans l’obscurité des salles condamnées, le sourire éternel des Époux étrusques semble se figer, en attendant que l’ingénierie moderne vienne réparer les erreurs du passé.