NISSAN AU BORD DU GOUFFRE : ANALYSE DES CAUSES PROFONDES ET ÉVALUATION DU PLAN DE REDRESSEMENT D’URGENCE
Confronté à une perte d’exploitation abyssale de 275 milliards de yens (environ 1,8 milliard de dollars) anticipée pour 2025-2026, le constructeur japonais Nissan joue sa survie. L’entreprise a dévoilé un plan de restructuration d’urgence, baptisé “Re:Nissan”, prévoyant 20 000 suppressions de postes et la fermeture de sept usines d’ici 2027. Une thérapie de choc pour tenter de surmonter une décennie de défaillances stratégiques et un retard critique dans la course à l’électrique.
La sanction des marchés a été immédiate : l’action a dévissé de plus de 7 % à Tokyo. Sur les douze derniers mois, le titre a perdu 40 % de sa valeur, et les agences de notation, dont Moody’s, ont relégué la dette du groupe en catégorie spéculative (“junk bond”). Cette dégradation renchérit drastiquement le coût du capital au moment précis où Nissan a un besoin vital de liquidités pour financer sa transformation.
Symbole de cette urgence, le groupe a dû se résoudre à vendre son siège social mondial de Yokohama pour 97 milliards de yens (643 millions de dollars) via une opération de cession-bail. Nissan est désormais locataire de ses propres murs. Cet acte d’ingénierie financière, loin d’être une optimisation stratégique, est un aveu de la gravité des problèmes de trésorerie. Les fonds serviront principalement à financer les indemnités des 20 000 licenciements et les coûts de fermeture des sept sites.

NISSAN AU BORD DU GOUFFRE ANALYSE DES CAUSES PROFONDES ET ÉVALUATION DU PLAN DE REDRESSEMENT D’URGENCE
L’héritage de l’ère Ghosn et la paralysie managériale
Comment le pionnier de la voiture électrique, avec la Leaf, a-t-il pu en arriver là ? La crise actuelle est le point culminant de l’onde de choc de l’arrestation de Carlos Ghosn en 2018. L’ancien PDG, Hiroto Saikawa, avait lui-même pointé “l’héritage négatif” de cette ère : une course artificielle aux volumes, souvent soutenue par des remises agressives, qui masquait le vieillissement de la gamme et une rentabilité structurellement faible.
Plus grave encore, l’affaire Ghosn a plongé l’entreprise dans une paralysie managériale. Alors que les concurrents investissaient massivement dans les plateformes électriques de nouvelle génération, Nissan gaspillait un temps précieux en luttes intestines et en purges internes. Le résultat est un retard stratégique majeur : Nissan a raté le virage des technologies hybrides et peine aujourd’hui à rivaliser avec l’agressivité de Tesla ou du géant chinois BYD. L’endettement a même forcé le groupe à abandonner la construction d’une usine de batteries cruciale au Japon.
Le coût de la désunion de l’Alliance
L’Alliance Renault-Nissan-Mitsubishi, jadis sa force, est devenue un fardeau. L’objectif de 10 milliards d’euros de synergies annuelles fixé pour 2022 n’a jamais été atteint. L’éclatement de la confiance post-Ghosn et la volonté japonaise de réaffirmer son indépendance stratégique ont stoppé la convergence.
Ce “manque à gagner” des synergies est estimé à plus de 4,3 milliards d’euros par an en coûts non optimisés (achats, ingénierie). C’est un facteur direct des problèmes de coûts fixes que Nissan tente aujourd’hui de résoudre par des licenciements massifs. Le paradoxe est que Nissan, après avoir valorisé son indépendance au point de refuser une fusion avec Honda, se voit contraint de revenir vers l’Alliance comme un “dernier recours”.
Un plan de la dernière chance
Le nouveau plan “Re:Nissan”, porté par le PDG Ivan Espinosa, marque une rupture totale avec la culture du volume. L’objectif est de rétablir la rentabilité d’ici l’exercice fiscal 2026, en visant un flux de trésorerie (free cash flow) positif.
La clé de voûte est une réduction drastique des coûts de 500 milliards de yens (environ 3,3 milliards de dollars) d’ici 2026, répartis à parts égales entre coûts fixes et variables. Pour y parvenir, outre les fermetures de sites, Nissan prévoit de réduire la complexité des pièces de 70 % et de consolider ses plateformes de 13 à seulement 7.
L’exécution de ce plan d’austérité est cependant périlleuse. La réalisation des 500 milliards d’économies est vitale, mais l’horizon fixé pour la consolidation des plateformes – 2035 – semble excessivement lointain. Nissan est engagé dans une course contre la montre. S’il échoue à réduire ses coûts tout en lançant enfin des modèles compétitifs, le constructeur pourrait devoir procéder à de nouvelles ventes d’actifs, remettant en question son indépendance à long terme.

