La guerre des puces : Comment Pékin utilise la dépendance occidentale aux composants de base pour imposer son leadership sur le véhicule électrique (NEV).

 

 

L’alerte Stellantis, symptôme d’une menace stratégique

 

L’industrie automobile occidentale vient de recevoir un signal d’alarme retentissant. L’alerte lancée fin 2025 concernant le groupe Stellantis illustre de manière éloquente la fragilité structurelle du secteur. L’information, révélée par les médias, soulignait une vulnérabilité critique : « Stellantis attend un accord sur les semi-conducteurs avec la Chine, sous peine de paralysie de la production ».

Loin d’être un simple incident logistique, cette situation est le symptôme aigu d’une dépendance stratégique croissante. Ce rapport d’expertise évalue la plausibilité d’une crise mondiale des semi-conducteurs délibérément orchestrée par la Chine. Une telle stratégie vise à transformer son contrôle sur les chaînes d’approvisionnement en un levier géopolitique décisif, avec un objectif clair : accélérer la domination mondiale de son industrie des Véhicules à Énergie Nouvelle (NEV) et garantir à ses constructeurs un avantage de coût insurmontable.

La Chine détient en effet les mécanismes de contrôle non seulement sur les puces d’ancienne génération (ou Legacy Chips), essentielles à l’automobile, mais aussi sur les Matières Premières Critiques (Gallium, Germanium, Terres Rares) en amont. En maîtrisant ces points d’étranglement, Pékin peut paralyser la production de ses concurrents étrangers tout en favorisant ses propres constructeurs intégrés verticalement.

La guerre des puces Comment Pékin utilise la dépendance occidentale aux composants de base pour imposer son leadership sur le véhicule électrique (NEV).

La guerre des puces Comment Pékin utilise la dépendance occidentale aux composants de base pour imposer son leadership sur le véhicule électrique (NEV).

Le concept d’arme économique : La Contrainte Commerciale Instrumentalisée

 

La stratégie chinoise ne s’apparente plus à du simple protectionnisme. Il s’agit d’une tentative de contrainte commerciale instrumentalisée, utilisant la dépendance structurelle des économies occidentales comme une arme coercitive. L’objectif n’est pas seulement de punir les sanctions (comme le CHIPS Act américain), mais d’atteindre les objectifs d’indépendance technologique et de leadership industriel mondial décrits dans le programme Made in China 2025 (MEC 2025). La militarisation de la chaîne d’approvisionnement est une riposte directe.

 

Le maillon faible : Les puces d’ancienne génération

 

L’industrie automobile fait face à un paradoxe. Alors que l’Europe et les États-Unis investissent massivement dans la course aux puces les plus avancées (inférieures à 7 nm), l’essentiel des fonctions d’un véhicule (sécurité, énergie, etc.) dépend de technologies plus anciennes : les puces de nœuds matures (28 nm et plus). Ces composants, tels que les diodes et les régulateurs de tension, sont simples mais absolument cruciaux.

L’Europe est particulièrement exposée : selon les analyses, près de la moitié des composants électroniques automobiles européens proviennent de Nexperia, une entreprise basée aux Pays-Bas, mais majoritairement contrôlée par l’actionnaire chinois Wingtech. Une partie critique de sa production est de plus localisée en Chine.

 

Crise Nexperia : Le mécanisme du choc immédiat

 

La crise Nexperia, fin 2025, est la première démonstration concrète et ciblée de cette stratégie de contrainte.

Le déroulé est clair : en réaction à la décision du gouvernement néerlandais de prendre le contrôle de Nexperia pour prévenir le transfert de propriété intellectuelle vers la Chine, Pékin a immédiatement riposté. La Chine a bloqué les exportations de puces produites dans ses installations, un volume estimé à environ 50 milliards d’unités par an, représentant la moitié du volume mondial de Nexperia.

Les conséquences ont été immédiates et systémiques. Stellantis a dû mettre en place une cellule de crise. Volkswagen a confirmé des interruptions partielles. Plus largement, la MEMA (Motor & Equipment Manufacturers Association) a mis en garde contre le risque que des chaînes de production américaines entières cessent leurs activités en quelques semaines.

Il est crucial de faire la distinction : les crises de 2021-2022 étaient dues à une explosion de la demande. La crise Nexperia est, en revanche, une pénurie orchestrée et politique. Cette manœuvre ciblée permet à la Chine de tester la résilience occidentale et d’infliger des dommages économiques immédiats sans avoir à actionner son levier sur les puces avancées (segment où elle est elle-même plus vulnérable).

 

Le chantage amont : Le contrôle des matières premières critiques

 

Pour orchestrer une crise systémique, la Chine ne se contente pas des puces finies ; elle contrôle les intrants en amont : les Matières Premières Critiques (MRC).

 

Le quasi-monopole sur le Gallium et le Germanium (Ga/Ge)

 

Le Gallium et le Germanium sont vitaux pour les semi-conducteurs composés utilisés dans l’électronique de puissance des VE et la 5G. La Chine a démontré sa volonté de militariser ces ressources en imposant des restrictions d’exportation.

L’impact du Ga/Ge est structurel et à long terme. L’établissement de nouvelles sources alternatives d’approvisionnement et d’infrastructures de raffinage demande des années d’investissement. Pendant cette inertie, la Chine conserve une avance presque intouchable, augmentant le coût structurel de production des futures puces de puissance destinées aux VE occidentaux. C’est un mécanisme de pénurie chronique ciblant le cœur de l’innovation électrique.

 

Terres Rares : L’enjeu des moteurs électriques

 

La Chine détient un quasi-monopole mondial sur l’étape la plus stratégique et polluante des Terres Rares (TR) : le raffinage et l’élaboration des alliages. Ces TR (Néodyme, Dysprosium) sont indispensables pour les aimants permanents des moteurs des Véhicules Électriques.

Le précédent géopolitique est solide : en 2010, la Chine avait déjà brusquement interrompu ses exportations de TR vers le Japon. Une pénurie orchestrée de TR ne frappe pas seulement les constructeurs ; elle sabote directement les objectifs de transition énergétique de l’Europe et des États-Unis. En limitant l’accès aux aimants, la Chine entrave la progression de ses concurrents vers la neutralité carbone et se positionne paradoxalement comme la principale puissance mondiale « verte ».

 

Le Dividende Stratégique : Dominer le marché à bas coût

 

L’effet d’une crise orchestrée se traduit par un avantage concurrentiel dramatique pour l’industrie chinoise.

Une pénurie imposée à l’Occident force les constructeurs à s’approvisionner sur des marchés spot volatils, augmentant exponentiellement leurs coûts de production. Simultanément, les constructeurs chinois (BYD, NIO, Geely), bénéficiant d’une sécurité d’approvisionnement intégrée grâce à leurs liens privilégiés avec les fondeurs domestiques et les politiques nationales, opèrent dans un environnement stable et prévisible.

Cette stratégie crée un effet de ciseaux :

  1. Côté Ouest : Les coûts augmentent, la production s’arrête, les prix de vente sont poussés à la hausse.
  2. Côté Est : La production est stable, les coûts de composants sont maîtrisés. Les constructeurs chinois peuvent ainsi intensifier leurs stratégies de prix très agressives.

Le résultat est déjà visible : les exportations de véhicules chinois connaissent une accélération soudaine de la prise de parts de marché. La crise devient un outil géopolitique visant à dicter les conditions de la concurrence tarifaire mondiale.

 

Impératifs stratégiques pour la résilience occidentale

 

Face à la rapidité de la riposte chinoise, la lenteur des initiatives occidentales est préoccupante.

Les politiques majeures comme le EU Chips Act ou le Critical Raw Materials Act (CRMA) visent l’autonomie, mais sont des projets longs, demandant une décennie ou plus. Le défi réside dans le décalage temporel : alors que l’urgence est dans la production de puces matures et le raffinage des matières critiques, le focus initial est souvent mis sur les technologies de pointe.

 

Contre-mesures immédiates

 

  1. Utilisation du Levier Commercial (Rétorsion) : L’Union Européenne doit être prête à riposter aux restrictions chinoises par des contre-mesures fermes, telles que l’imposition de restrictions à l’exportation de biens stratégiques pour lesquels la Chine dépend de l’UE (outils d’intelligence artificielle, équipements de fabrication spécialisés).
  2. Constitution de Stocks Stratégiques : Les gouvernements occidentaux doivent soutenir la constitution de réserves tampons (buffer inventories) de semi-conducteurs et de matériaux critiques par les fabricants automobiles.
  3. Diversification Rapide : Les constructeurs doivent être incités à qualifier rapidement des sources alternatives pour les puces de nœuds matures en dehors de la Chine (Corée du Sud, Taiwan, Japon, Inde), au lieu de reposer sur un acteur unique comme Nexperia.

 

Vers une Bifurcation Technologique

 

La crise de 2025 confirme que la Chine est prête à instrumentaliser sa position dominante sur les composants essentiels pour paralyser ses rivaux.

La question n’est plus de savoir si la Chine peut vendre des véhicules électriques à bas prix, mais si les constructeurs occidentaux pourront simplement produire à grande échelle à des coûts compétitifs si l’approvisionnement en composants de base reste soumis au chantage géopolitique. Le quasi-monopole chinois sur les prix du Gallium, du Germanium et des puces de puissance garantit une augmentation structurelle et non maîtrisable des coûts pour les chaînes de production étrangères.

Sans une intervention politique rapide et coordonnée, l’avantage concurrentiel chinois dans les NEV deviendra insurmontable, figeant un nouvel ordre économique. Le résultat sera une bifurcation technologique durable : un bloc occidental aux coûts de production artificiellement élevés face à un bloc sino-asiatique intégré, stable et hautement compétitif. La sécurité de l’approvisionnement est désormais la première ligne de défense de l’industrie automobile occidentale.